Interview du Dr Bourguignon dans La Libre Belgique du 12 septembre 2012
12 septembre, 2012 by admin
Les soins dentaires sont-ils un luxe ?
Entretien: Monique Baus
Mis en ligne le 12/09/2012
L’étude publiée par les Mutualités Libres montre une fois de plus que le coût des soins dentaires reste problématique. Est-ce aussi votre avis ?
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Il faut être méthodique et prudent avec ce genre de question. Vous dites: « Le coût des soins dentaires » : je peux déjà répondre à cela: « Lesquels ? » Il y a soins et soins. Il y a ceux qui sont remboursés dont on peut déduire qu’ils sont nécessaires, et ceux qui ne le sont pas, dont on déduirait alors qu’ils sont plutôt « de confort ». Si certains soins sont un luxe, c’est donc l’Etat belge qui les choisit. De plus, il y a aussi deux types de dentistes: les conventionnés et les non conventionnés.
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Les dérapages dénoncés dans l’étude concernent les suppléments d’honoraires pratiqués par les dentistes non conventionnés et les soins non remboursés. Comment justifier des tarifs parfois spectaculaires ?
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Il n’y a de points de références que pour les actes remboursés par l’Inami, et les dentistes non-conventionnés ne sont pas obligés d’en tenir compte, alors que voulez-vous…? Ils expliquent les prix par une série d’éléments qualitatifs: passer plus de temps avec les patients, proposer un accueil plus soigné grâce à la présence d’une secrétaire, etc. Comme les gens ont beaucoup de mal à évaluer la qualité d’un médecin en fonction de critères médicaux, leur avis est souvent fondé sur d’autres aspects qu’ils maîtrisent mieux, comme le sourire, la propreté, la gentillesse… Parfois, même, la qualité se jauge d’après le prix. Ainsi, un soin trop bon marché est souvent dévalorisé. Enfin, il faut se rappeler que le dentiste va encore payer des impôts sur les sommes payées par le patient. Il y aurait sans doute moins de tentation à facturer autant si la taxation était moins élevée: l’Etat récupère quand même près de la moitié de ces montants!
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Que faudrait-il faire pour augmenter la proportion de praticiens conventionnés ?
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Franchement, je suis très étonné que la majorité des dentistes soient encore conventionnés (NdlR : 70 % des dentistes, mais seulement 17% des orthodontistes et 27 % des parodontistes). Aujourd’hui, le seul attrait est d’avoir le statut social du dentiste (c.-à-d. environ 2 000 euros par an à condition de mettre soi-même la même chose pour sa retraite), en échange de quoi il ne peut pas dépasser les tarifs de la convention. Les médecins, eux, ont deux possibilités d’échapper à ces tarifs. Les dentistes pas. Alors comment motiver les dentistes à se conventionner? Il faudrait proposer des avantages (financiers, mais aussi autres, comme de simplifier la paperasserie ou de diminuer le nombre de contrôles par exemple). Ou alors, on pourrait aussi diminuer l’attrait du non-conventionnement (par le plafonnement des honoraires libres notamment).
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Que pensez-vous de rendre obligatoire un devis sur le coût final des soins ?
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C’est compliqué à cause de la complexité des soins de santé. On vous a mis un implant puis, au moment de mettre la prothèse, il apparaît qu’il faut fraiser les dents d’à côté. Il est impossible de prévoir tous les cas de figure. De plus, aujourd’hui déjà, rien n’interdit au patient de poser la question. Mais il ne le fait pas toujours, que ce soit par inertie, par crainte de recevoir un moins bon soin ou par calcul: une fois le prix connu, vous n’avez plus l’argument moral de dire que c’est trop cher…
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Etes-vous favorable à la création d’un Ordre des dentistes qui sanctionnerait notamment les prestataires exagérant dans leur facturation, autre suggestion des Mutualités Libres ?
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Toute la question est selon quelles références? Qui fixerait la norme? Il faudrait tenir compte des moyens financiers des patients, des services rendus, du matériel utilisé, des qualifications du prestataire, etc. Et puis à partir de quand pourrait-on parler de dépassement réellement excessif ? Selon moi, il faudrait atteindre au moins cinq fois la norme. Et puis, comme il est impossible d’avoir un barême unique, la seule solution serait un traitement au cas par cas, ce qui nous renvoie à une justice paternaliste dont les règles ne seraient pas clairement définies.
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Docteur Robert BOURGUIGNON
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Directeur du cabinet Securimed (spécialisé dans la défense des intérêts des médecins et dentistes)