Sur l’impartialité des juridictions administratives de l’INAMI…
On sait que les juridictions de l’INAMI – « instituées auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux » – ne sont pas des juridictions judiciaires, mais administratives : elles dépendent en effet du pouvoir exécutif.
Dès lors, la question de leur impartialité par rapport au SECM peut se poser : dans la mesure où ces juridictions échappent au contrôle judiciaire classique, de quelles garanties un dispensateur dispose-t-il ?
Le législateur (loi SSI, article 145) a voulu que les juridictions de premier degré, à savoir les Chambres de première instance (CPI) soient composées paritairement de délégués des organisations représentatives des dispensateurs de soins et de délégués des Organismes Assureurs (OA), et présidées par un magistrat.
Il y a donc deux représentants des « syndicats » médicaux (ABSyM et GBO), dentaires (Chambres syndicales et Société de Médecine dentaire), etc. et deux représentants des OA, plus le président ; tous ont voix délibérative.
En cas d’opposition entre les représentants des « syndicats » et ceux des OA, c’est donc le président – un magistrat – qui départage les deux camps.
En degré d’appel, les quatre délégués des syndicats et des OA ont seulement voix consultative : le Président de la Chambre de recours – encore un magistrat – est seul à posséder une voix délibérative.
Dans l’ensemble, ce système – qui rappelle les prudhommes – fonctionne bien, malgré les illusions de ceux qui pensent que les représentants des syndicats médicaux ou dentaires vont les « défendre » contre le SECM (ou contre les OA ?) à la manière des syndicats de travailleurs défendant les salariés contre leurs employeurs.
Une autre idée reçue serait que les représentants des OA défendraient nécessairement « le budget » et voteraient systématiquement la condamnation du dispensateur.
L’incident survenu le jeudi 12 novembre 2009 durant une audience de la CPI d’expression française, siégeant salle Rubens au 8ème étage de l’INAMI, semble toutefois très révélateur du pouvoir d’attraction de la puissance publique.
Le SECM y avait attrait un radiologue au motif qu’il n’aurait pas réalisé les mammographies attestées dans un centre de sénologie.
L’affaire était fort complexe : le radiologue ne prenait pas lui-même les clichés, bien qu’il fût physiquement présent dans l’institution : c’était le gynécologue-sénologue prescripteur qui réalisait la partie purement technique de l’acte*.
Cependant, le radiologue ne venait pas à l’audience les mains vides : il avait obtenu cinq décisions favorables du Conseil technique médical (CTM) de l’INAMI, deux témoignages de professeurs d’Université, une attestation de son chef de Service, un constat d’huissier de justice, etc.
Le CTM disait en substance que le radiologue pouvait valablement déléguer la réalisation technique de la mammographie à un auxiliaire qualifié – un « technologue » -, dès lors que le sein était une « région du thorax » (NPS, art. 1er, § 4bis – Section B) ; voir à ce sujet la News du 16 juillet 2008 : La mammographie (code NPS 450096) est-elle une radiographie du thorax ?
L’affaire était donc délicate pour le SECM, car elle engageait ni plus ni moins sa crédibilité, et c’était le Dr Véronique GRYMONPREZ – MI détaché spécial du HQ – qui menait l’accusation.
Comme le radiologue avait les apparences contre lui, la CPI eut d’abord tendance à suivre la thèse du SECM.
L’un des assesseurs mutualistes en remettait même à coup de sourires appuyés ou de hochements de tête approbateurs lorsque le Dr GRYMONPREZ avait la parole ; en revanche, il émettait des exclamations telles que « Tiens donc ! » durant l’exposé de la défense…
Mais, le tournant de l’audience fut le moment où ce même assesseur mutualiste sortit véritablement du bois et commença à affirmer – avant même que la défense ait terminé sa plaidoirie ! – que le radiologue n’avait pas effectué les mammographies.
La défense lui répondit qu’il ne pouvait exprimer une opinion portant sur la culpabilité du dispensateur sans en avoir délibéré avec ses collègues, et que de telles affirmations entachaient l’impartialité de la juridiction.
Dès ce moment, l’adhésion de la CPI à la thèse du SECM se mua progressivement en doute, si bien que le Dr GRYMONPREZ, se sentant en difficulté, rechercha l’aide de cet assesseur mutualiste en le tutoyant – en pleine audience publique, devant de nombreux témoins !
Ces incidents répétés firent dire à l’une des personnes présentes dans le public que le SECM s’était concerté avec cet assesseur dès avant l’audience : le tutoiement – sans doute involontaire – indiquait en effet un certain degré de connivence, et il faut préciser que l’assesseur en question siège dans toutes sortes de commissions de l’INAMI.
Sur le fond de l’affaire, comme l’un des assesseurs représentant les syndicats médicaux lui posait la question : « Est-ce interdit ? », le Dr GRYMONPREZ répétait : « C’est louche, c’est suspect ! », mais sans jamais pouvoir expliquer en quoi il serait répréhensible que le radiologue fasse prendre les clichés par son confrère.
L’autre assesseur représentant les syndicats médicaux demanda si le radiologue était bien présent sur place, et la défense fit remarquer que le SECM ne s’était pas inscrit en faux contre les déclarations faites dans ce sens par le radiologue lors de son audition par l’inspecteur**.
Le même assesseur demanda au Dr GRYMONPREZ si c’était exact, et elle le confirma.
Le questionnement continua, à l’intention de la défense :
– Pourquoi le gynécologue ne porte-t-il pas lui-même en compte la mammographie ?
– Parce qu’il ne tient pas à prendre un tel risque en termes de responsabilité civile !
– Pourquoi, alors, atteste-t-il l’échographie et non la mammographie ?
– Car la mammographie est un acte beaucoup plus fin que l’échographie…
Comme le veut l’usage, la défense eut la parole en dernier : elle s’insurgea contre le fait que lorsqu’un dispensateur viole de bonne foi la réglementation, le SECM demande l’application de sanctions, mais que lorsqu’il respecte la réglementation, le Service invoque les apparences pour exiger sa condamnation !
Il est à noter que le comportement de l’autre assesseur mutualiste fut strictement irréprochable.
La morale de cette histoire est la suivante : quand l’un des acteurs du procès sort de son rôle – par exemple un juge qui devient accusateur -, c’est la Vérité qui en est la première victime*** !
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* Il était du reste agréé comme technologue par Brumammo, le programme officiel de dépistage du cancer du sein en Région bruxelloise !
** L’article 171 de la loi SSI sanctionne pénalement les fausses déclarations à un médecin-inspecteur de l’INAMI.
*** Cf. ROUART JM (de l’Académie française), Omar La Construction d’un coupable, Paris, Editions de Fallois, 2001