Taux de « réattestation » : le SECM fait encore plus fort que notre poisson d’avril 2010 (la fameuse « opération Piranha ») !
La réalité dépasse souvent la fiction, c’est bien connu…
A titre de poisson d’avril 2010, nous annoncions que le SECM avait décidé de dresser procès-verbal de constat d’infraction… même en l’absence de toute preuve matérielle.
C’est exactement ce qui se passe un an plus tard : dans son courrier recommandé daté du 28 mars 2011, le SECM menace les 998 dentistes qui « réattestent » trop de les poursuivre non pas via une procédure pour prestations non réalisées ou non conformes – ce qui nécessiterait évidemment une assez longue enquête auprès de leurs patients -, mais par le biais d’une procédure pour prestations inutilement onéreuses (art. 73 §§ 1 à 4 de la loi SSI).
Dans ce dernier cas, le SECM ne doit effectuer aucun devoir d’enquête et peut se contenter d’un simple pourcentage de « réattestation » dépassant un seuil déterminé par des experts et par la littérature.
La loi SSI admet en effet cette pratique (art. 73 § 4) :
§ 4. A défaut d’indicateurs de déviation manifeste visés au § 2, la pratique est comparée selon la procédure prévue à [l’article 146bis, § 2,] avec la pratique de dispensateurs normalement prudents et diligents placés dans des circonstances similaires. Il est tenu compte entre autres d’informations scientifiques, acceptées par des associations et/ou institutions scientifiques qui bénéficient d’une notoriété générale.
Nous renvoyons à cet égard à notre News du 29 décembre 2010 Potentiels évoqués : le Dr HEPP écrit à certains neurologues…
Le praticien faisant l’objet d’un PVC pour « surconsommation » doit alors se justifier devant le Comité du SECM (organe de contrôle du SECM et ancienne juridiction de premier degré), puis éventuellement – c’est un véritable labyrinthe judiciaire – devant la Chambre de première instance.
Comme ce fut le cas pour les panos des dentistes à l’été 2010 et les potentiels évoqués des neurologues à la fin de cette même année, Il est manifeste que la lettre du SECM est d’abord et avant tout un épouvantail destiné à freiner certaines ardeurs…
Quelles ardeurs ?
Officiellement, la malfaçon* – ici évoquée par la phrase « remet en question la qualité des soins dispensés » (page 2 de la lettre du SECM) – mais en réalité des prestations plus ou moins fictives, car certains dentistes pensent qu’un inspecteur du SECM ne parviendra pas à dater une obturation effectuée à l’aide d’amalgame et encore moins à l’aide de composite…
Le SECM se proposerait donc, après avertissement, de sanctionner des cas de fraude via la procédure destinée à réprimer – sans la fastidieuse enquête préalable – les cas de « surconsommation » : c’est réellement l’opération Piranha de 2010 !
Curieusement, les syndicats dentaires, du nord comme du sud du pays, n’ont pas perçu – ou n’ont pas voulu percevoir – le détournement de la loi opéré par le SECM : l’article 73 § 4 et son pendant au niveau de la procédure à suivre, à savoir l’article 146bis § 2**, ne concernent pas les actes non réalisés, mais bien au contraire les actes effectivement réalisés en trop grand nombre ou d’une manière inadéquate par rapport à la pathologie.
Les exemples de « surconsommation » sont difficiles à trouver en dentisterie, mais sont nombreux et souvent évidents en médecine : que l’on songe au dermatologue qui enlève de manière itérative une tumeur superficielle tout en sachant pertinemment que cette tumeur va réapparaître quasi immédiatement (les verrues et l’herpès génital ont cette fâcheuse propension à ne jamais disparaître…).
Que faire au cas où le SECM décoche un PVC pour prestations inutilement onéreuses dans le présent contexte ? D’une manière plus générale encore, comment éviter dans toute la mesure du possible les « ennuis » suite à la réception de la lettre du 28 mars 2011 ?
Dans notre News du 5 avril 2011 intitulée Lettre du SECM à un millier de dentistes sur le taux de “réattestation” dans l’année : totalement incompréhensible ! nous avons discuté la différence entre réattestation et retraitement.
Nous n’y reviendrons pas, si ce n’est pour préciser qu’à notre avis tout le mécanisme de recherche informatique de « réattestation » fonctionne au niveau du SECM par code NPS et par numéro de dent: autrement dit, il suffirait d’attester un autre code (il n’est en principe pas interdit d’attester une obturation sur une face si l’on a travaillé sur deux faces, etc.).
Cependant, dans la mesure où, via la procédure décrite ci-dessus, le SECM inverse la charge de la preuve, le dentiste devra justifier devant le Comité du SECM le dépassement qui lui est reproché : ce sujet mérite à lui seul un article !
Notons d’ores et déjà que le prestataire qui pourra faire état de soins distincts sur la même dent, mais portés en compte via le même code de nomenclature possède déjà une excellente base de justification… cela va d’ailleurs compliquer considérablement la tâche du SECM.
Quant à prévenir les « ennuis », le conseil que l’on pourrait assez facilement donner serait de rester en deçà du taux fatidique de « réattestation » de 10%, mais à notre avis se situer en deçà de 15% est une option raisonnable, étant donné que, dans d’autres dossiers, le SECM a retenu ce dernier pourcentage et qu’il a certainement – à la manière des radars routiers – prévu une marge de tolérance afin de ne pas encombrer inutilement ses juridictions.
Ce « taux de réattestation » doit être bien compris – il pourrait théoriquement correspondre à pas mal de choses -, car il s’agit en l’occurrence d’une donnée très précise et sur laquelle les syndicats ne se sont guère appesantis : il s’agit du pourcentage d’actes réattestés une fois ou plus endéans les douze mois suivant l’acte initial.
On peut donc calculer le taux de réattestation d’actes réalisés sur seulement un ou deux mois (nettement moins qu’un an), puisque c’est l’acte initial (ou l’acte répété mais apparaissant comme initial aux yeux du logiciel du SECM) qui importe***.
Ainsi, le nombre de répétitions – au-delà de la première – ne semble pas intervenir : une obturation occluso-distale de la dent 16 réalisée le 1er janvier, puis répétée chaque trimestre pendant un an ne compterait en principe que pour un seul acte répété endéans les douze mois suivant sa réalisation.
Il faut donc laisser s’écouler plus de douze mois entre l’acte initial et sa répétition si l’on veut éviter de tomber dans les critères du SECM – en tout cas ceux décrits dans la lettre du 28 mars 2011 ; et il vaut sans doute mieux, au-delà des 10 à 15% de réattestations admises, répéter souvent le même acte sur la même dent plutôt que de se disperser sur plusieurs dents… puisque c’est le nombre d’actes répétés et non le nombre de répétitions qui est calculé par l’ordinateur du SECM !
Ces considérations s’entendant « par dentiste individuel » – c’est-à-dire « par numéro INAMI » -, les dentistes travaillant en équipe disposeront vraisemblablement d’une plus grande latitude quant à la répétition de leurs actes au sein du cabinet commun…
Résumé de nos conseils pratiques :
a) pour le calcul du taux de réattestation, raisonner en termes de codes NPS plutôt qu’en termes de soins – bien conserver toutes les preuves documentaires de ces soins (radios, photos, etc.) ;
b) ne pas excéder un taux de répétition de 15% des soins conservateurs (chez l’adulte) ;
c) passer la main à un confrère du même cabinet en cas de risque de dépassement du taux fatidique de réattestation (cas notamment des cabinets sociaux dont les patients n’ont pas les moyens financiers de se payer des couronnes prothétiques non remboursées…) ;
d) pour un patient déterminé, ne pas disperser les réattestations excédentaires sur un grand nombre de dents, mais plutôt les concentrer sur certaines ;
e) travailler avec un Office de tarification disposant d’un système informatique perfectionné et accordant une large protection juridique…
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* Prima facie, la malfaçon ne se confond pas avec la notion de « prestations inutilement onéreuses » visée par la loi SSI :
Art. 73. § 1er. Le médecin et le praticien de l’art dentaire apprécient en conscience et en toute liberté les soins dispensés aux patients. Ils veilleront à dispenser des soins médicaux avec dévouement et compétence dans l’intérêt et dans le respect des droits du patient et tenant compte des moyens globaux mis à leur disposition par la société.
Ils s’abstiennent de prescrire, d’exécuter ou de faire exécuter des prestations superflues ou inutilement onéreuses à charge du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
Les dispensateurs de soins autres que ceux visés à l’alinéa 1er s’abstiennent également d’exécuter ou de faire exécuter des prestations inutilement onéreuses ou superflues à charge du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
** On trouvera ci-dessous le texte de l’art. 146bis § 2 :
§ 2. [M – Loi 19-12-08 – M.B. 31-12 – éd.3 – art.40]
Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux recueille après information reçue des organismes assureurs, d’une commission de profils ou de sa propre initiative, les données relatives aux prestations visées à l’article 73, § 4. Les constats communiqués par les commissions de profils ont force probante jusqu’à preuve du contraire. Ils sont utilisés comme tels par les médecins inspecteurs, [pharmaciens-inspecteurs et infirmiers-contrôleurs] du Service d’évaluation et de contrôle médicaux pour constater les infractions visées à l’article 73bis.
Le placement sous monitoring a lieu pour une durée minimale de six mois. Cette mesure d’enquête et sa date de début sont portées à la connaissance du dispensateur de soins, il lui est également rappelé les recommandations qui s’appliquent à sa pratique ainsi que les mesures qui peuvent être prises en cas d’infractions à l’article 73bis. Aucun recours n’est ouvert contre cette mesure.
Les commissions de profils peuvent inviter le Service d’évaluation et de contrôle médicaux à placer des dispensateurs sous monitoring sur la base d’un dossier motivé. Le fonctionnaire-dirigeant informe le Comité des suites données aux demandes des commissions de profils.
[M – Loi 19-12-08 – M.B. 31-12 – éd.3 – art.40]
Après analyse [des données recueillies par le Service d’évaluation et de contrôle médicaux], [les fonctionnaires visés à l’alinéa 1er], dressent un procès-verbal de constat qui est notifié au dispensateur de soins conformément à l’article 142, § 2, en l’invitant à communiquer ses moyens de défense écrits dans un délai d’un mois.
Ces moyens sont communiqués au Comité qui, après les avoir examinés, peut décider :
1° de classer le dossier sans suite;
2° de clôturer le dossier par un avertissement;
[R – Loi 19-12-08 – M.B. 31-12 – éd.3 – art.40]
3° [de charger le fonctionnaire-dirigeant de saisir la Chambre de première instance de l’affaire et, s’il échet, d’en avertir simultanément, par lettre recommandée la personne physique ou morale visée à l’article 164, alinéa 2.]
Les décisions visées aux points 1° et 2° de l’alinéa précédent peuvent être contestées par le fonctionnaire-dirigeant du Service d’évaluation et de contrôle médicaux devant la Chambre de première instance.
On voit donc que les 998 dentistes concernés par la lettre du SECM sont de fait placés sous « monitoring », même si la lettre n’utilise pas ce terme, mais « informe … que les restaurations que vous porterez en compte à l’assurance soins de santé feront l’objet d’une surveillance continue à partir du 01/05/2011 et seront réévaluées à terme selon la même méthodologie ».
Les sanctions pour prestations inutilement onéreuses sont quant à elles déterminées à l’art. 142 § 1er (on notera au passage que le taux maximal de l’amende administrative est nettement plus bas qu’en cas de prestations non réalisées (200%) ou non conforme (150%)) :
4° le remboursement de la valeur des prestations indûment attestées à charge de l’assurance soins de santé et une amende administrative comprise entre 5 p.c. et 100 p.c. du montant du remboursement en cas d’infraction aux dispositions de l’article 73bis, 4°;
*** Ce point n’est pas entièrement clair : l’annexe « Méthodologie » de la lettre du SECM explique en page 2 :
Le taux annuel individuel de « réattestation » est calculé selon la formule suivante :
· au numérateur : le nombre des obturations et restaurations attestées entre le 1er juin 2008 et le 30 novembre 2008 et ayant fait l’objet d’une répétition dans l’année
· au dénominateur : le nombre total des mêmes soins attestés durant la même période
Il n’est pas précisé si l’acte répété est à son tour pris comme point de départ pour une nouvelle recherche de répétition sur douze mois, même s’il est en revanche certain que cette deuxième répétition ne sera pas comptabilisée si la première se situe elle-même en dehors de la période de surveillance débutant le 1er mai 2011, laquelle peut d’ailleurs être inférieure à douze mois…