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Comment l’INAMI gaspille l’argent du contribuable

31 décembre, 2012 by Dr R. BOURGUIGNON

On le sait, les juridictions administratives de l’INAMI — Chambre de première instance (CPI) et Chambre de recours (CR) — sont composées d’un magistrat est de quatre assesseurs : deux médecins représentants des OA et deux représentants de la catégorie professionnelle du dispensateur, fournisseur, ou établissement poursuivi (médecin, dentiste, kiné, infirmier, bandagiste, MRS, etc).

Le but du législateur était de retirer des affaires très techniques aux tribunaux de l’ordre judiciaire, lesquels n’auraient eu d’autre option que de désigner un ou plusieurs experts.

Ainsi, les représentants de la catégorie professionnelle de la personne poursuivie tiennent lieu d’experts de la discipline concernée quand les représentants des OA font office d’experts de la Nomenclature.

On relèvera donc qu’aucun membre de la juridiction ne réunit les trois compétences requises (juridique, administrative et technique) et que le bon fonctionnement de la juridiction repose sur une bonne communication entre ses membres.

Et aussi, il faut bien le dire, sur l’impartialité des assesseurs qui peuvent communiquer des informations biaisées lors du délibéré : en effet, dans la mesure où ils sont seuls compétents dans leur domaine, les autres membres de la juridiction sont incapables de vérifier l’exactitude de leurs dires.

C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir de l’apparition, dans les juridictions dentaires d’expression néerlandaise, d’un assesseur dentiste issu des rangs de la VBT : cela assure au moins un certain pluralisme par rapport à la situation antérieure !

Les assesseurs ont voix délibérative en CPI, mais seulement consultative en CR : en théorie, le magistrat d’appel écoute les avis de ses assesseurs, puis décide seul.

Que se passe-t-il lorsque ce magistrat est incompétent, c’est-à-dire ne parvient pas à assimiler la matière très technique et rend des décisions inappropriées ?

Le dispensateur doit alors se tourner vers le Conseil d’Etat pour obtenir la cassation de la décision rendue par la Chambre de recours.

Si la décision est cassée, l’affaire est renvoyée devant la Chambre de recours, mais autrement composée.

Tout cela prend beaucoup de temps et coûte beaucoup d’argent au dispensateur certes, mais aussi à la collectivité qui doit financer toutes ces procédures inutiles.

En outre, la durée de ces procédures est telle qu’au moment d’être définitivement jugé, le dispensateur peut invoquer le dépassement du délai raisonnable pour échapper à toute sanction.

L’affaire évoquée ci-dessous met en œuvre un magistrat honoraire — donc assez âgé —, que nous avons vu pour la première fois fin 2010 : il présidait l’audience sans poser la moindre question, sans prendre la moindre note et sans lire le moindre document.

Nous avons alors pensé que cet homme était soit le spectateur passif d’une pièce à laquelle il ne comprenait rien, soit un grand savant qui connaissait tout à la fois les arcanes de la loi SSI, la médecine, la dentisterie, la Nomenclature des prestations de Santé et la science statistique — au point de n’avoir besoin d’aucune explication.

La suite des événements devait malheureusement montrer que la seconde hypothèse était exclue…

En effet, il commençait ses jugements — avant toute motivation — en déclarant le praticien coupable, lui prêtait des intentions qui ne s’étaient jamais traduites en actes, se contredisait, inventait des faits, refusait de statuer sur les requêtes et omettait de rencontrer les arguments de la défense là où le SECM n’avait pas conclu, c’est-à-dire là où il ne disposait d’aucun texte à recopier, émanant du SECM.

Car — cela semble extraordinaire —, afin de dissimuler son incompétence dans la matière spécialisée de l’INAMI, ce magistrat recopiait quasi intégralement les conclusions du SECM… y compris les fautes de dactylographie qu’elles contenaient* !

Comment un homme pareil a-t-il pu devenir président de la Chambre de recours de l’INAMI ?

Il y a là véritablement de quoi ébranler la confiance de l’ensemble des professions médicales dans les juridictions administratives relevant de la sécurité sociale, mais aussi dans le mode de nomination des magistrats qui y siègent.

Toujours est-il que, dans cette affaire, le Conseil d’Etat a d’ores et déjà rendu une ordonnance d’admissibilité, le 11 octobre 2012.
__________________
* Evidemment, lorsqu’on lisait ses jugements sans avoir pu prendre connaissance des conclusions du SECM qu’il se contentait de recopier, on le trouvait assez remonté contre le dispensateur, mais plutôt doué sur le plan juridico-technique et médical.

CONSEIL D’ETAT

G/A 206.509/VI-19.729

MÉMOIRE EN RÉPLIQUE (CASSATION)

POUR : Monsieur A, de nationalité belge, praticien de l’art dentaire, n° INAMI 3xxx, dont le domicile est établi à B,

Requérant,

Ayant pour conseil Maître C, avocate, dont le cabinet est établi à D où il est fait élection de domicile pour les besoins de la présente procédure.

CONTRE : Le Service d’évaluation et de contrôle de l’INAMI, dont les bureaux sont établis à 1150 Bruxelles, avenue de Tervueren 211.


À Messieurs les Premier Président et Président du Conseil d’Etat, ainsi qu’à Mesdames et Messieurs les Conseillers qui composent le Conseil d’Etat,

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Le requérant a introduit un recours en cassation devant Votre Conseil le 28 septembre 2012. Ce recours est dirigé à l’encontre de la décision du 28 août 2012 de la Chambre de recours instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI (numéro de rôle FB-00x-09) aux termes de laquelle,

le recours introduit par Monsieur A est déclaré recevable et non fondé,

la décision de la Chambre de première instance est confirmée,

Monsieur A est condamné au remboursement d’un indu s’élevant à 78.474,59€ (78.228,14€ pour le 1er grief et 246,45 pour le 2ème grief),

Monsieur A est condamné, pour le 1er grief, au payement d’une amende administrative s’élevant à 136.899,24€ (175 pc de l’indu) dont 19.557,06 avec un sursis de 3 ans (25 pc de sursis), soit une amende effective de 117.342,18€,

Monsieur A est condamné, pour le 2ème grief, au payement d’une amende administrative s’élevant à 369,67€ (150 pc de l’indu),

Monsieur A est condamné au payement des intérêts de retard au taux légal (article 156, § 1er, alinéa 2, de la loi ASSI du 14 juillet 1994).

Le 11 octobre 2012, le Président de la VI ème Chambre du Conseil d’Etat a prononcé une ordonnance d’admissibilité (n° 9.100).

Le 13 novembre 2012, la partie adverse a déposé son mémoire en réponse.

Par le présent mémoire en réplique, le requérant a l’honneur de faire valoir ses observations en réponse à l’argumentation présentée par la partie adverse.


I. RECEVABILITÉ RATIONAE TEMPORIS

-1. La décision faisant l’objet du présent pourvoi a été notifiée à Monsieur A par un courrier recommandé daté du 29 août 2012, reçu le 30 août 2012.

Le présent recours est donc recevable rationae temporis. Il a été introduit dans les 30 jours de cette notification.

Dans son mémoire en réponse, la partie adverse ne conteste pas la recevabilité rationae temporis de la requête.

II. SUR LES FAITS

-2. Le requérant est praticien de l’art dentaire.

Il est originaire de E, pays qu’il a fui pour trouver refuge en Belgique en 1986, soit lorsqu’il était âgé de 22 ans. Il a été naturalisé belge en 1997. Sa langue maternelle n’est pas le français. Il n’en maîtrise pas toutes les subtilités.

Sa patientèle est très majoritairement composée de personnes défavorisées dont l’hygiène dentaire et la consultation préventive régulière d’un dentiste ne sont pas la priorité. Elle présente, par voie de conséquence, pour sa très grande majorité, des pathologies bucco-dentaires importantes et multiples.

En outre, ses patients sont souvent d’origine étrangère et ne parlent pas ou peu le français (nous y reviendrons).

Ils bénéficient, en règle, du régime du « tiers payant », ce qui implique nécessairement que le « profil » du requérant présente des particularités que ne présente pas le « profil » d’autres dentistes qui ne pratiquent pas le « tiers payant » et/ou qui ont une patientèle plus consciente de la nécessité de visites régulières et idéalement préventives chez leur dentiste.

-3. Le profil particulier de la patientèle du requérant et, par voie de conséquence, du requérant lui-même, a attiré l’attention de la Commission des profils compétente visée à l’article 30 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités.

Lors de sa réunion du 8 décembre 2006, la Commission des profils a conclu que le requérant présentait « un nombre élevé d’obturations et de restaurations par rapport au nombre d’actes » (requête, page 4).

Elle a transmis le dossier au SECM, qui a entrepris une enquête en exécution de l’article 146 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 (requête, page 4).

Le SECM explique avoir été en mesure de formuler deux griefs au requérant après avoir procédé à l’examen de 30 cas d’assurés (auditions et établissement d’un constat dentaire par un médecin inspecteur) parmi 50 cas présélectionnés.

Le SECM dit avoir présélectionné les 50 cas précités :

« de manière aléatoire parmi les critères suivants :

– critère d’âge (exclusion des assurés mineurs d’âge et des personnes âgées au vu (de) l’objectif d’un contrôle par auditions d’assurés) ;

– assurés pour lesquels ont été remboursées un nombre substantiel de prestations d’obturations et de restaurations afin de pouvoir contrôler un nombre significatif de prestations ;

– sélection d’un cas de facturation de prothèses dentaires » (requête, page 4 et conclusions principales, page 2) ».

On relèvera à ce stade de l’exposé des faits que le SECM ne dit pas un mot dans sa requête ou dans ses conclusions sur la manière dont a choisi les 30 cas pour lesquels il a procédé à un examen approfondi (audition et établissement d’un constat dentaire par un médecin inspecteur) parmi les 50 cas présélectionnés « de manière aléatoire ».

-4. Les auditions et les constats dentaires des 30 patients sélectionnés ont eu lieu en 2007. Ces devoirs d’enquête ont été menés par un médecin inspecteur du SECM et non par un dentiste inspecteur.

Ils ont, en outre, été menés en français alors que les patients du requérant n’ont, pour leur grande majorité, pas une maîtrise suffisante du français que pour pouvoir répondre en connaissance de cause aux questions qui leur ont été posées.

Pour plusieurs d’entre eux, d’ailleurs, le SECM précise que l’audition s’est déroulée « avec traduction ». Pour une patiente du requérant (Madame F), la « traduction » a été réalisée par un enfant de 12 ans…

Il faut, à ce stade de l’exposé des faits, relever qu’une telle manière de procéder à des auditions « avec traduction » pose la question de la fiabilité des témoignages recueillis puisque le médecin inspecteur n’a de contrôle ni sur la manière dont ses demandes sont traduites, ni sur la manière dont les réponses du patient lui sont répercutées. Le fait que, dans un cas au moins, le « traducteur » était un enfant de 12 ans est particulièrement révélateur de l’amateurisme avec lequel le SECM procède dans l’exercice de sa mission de contrôle.

La manière dont les auditions « sans traduction » se sont déroulées pose également question eu égard au faible, voire très faible niveau de français de la majorité des patients du requérant. Ceux-ci ont-ils bien compris les questions qui leur ont été posées et leurs réponses ont-elles bien été celles qui figurent aux procès-verbaux d’audition. Le libellé de ces procès-verbaux pose question : rien ne laisse penser, à leur lecture, que nombre des personnes interrogées n’ont pas une réelle maîtrise de la langue française.

Il faut également mettre en évidence, dès à présent, que la manière dont les auditions se sont déroulées n’est pas seule problématique. La manière ou plus justement la qualité de celui qui a procédé aux constats dentaires pose également question. Ces constats ont été réalisés par un médecin et non un dentiste inspecteur, soit par une personne qui dispose de titres de compétence dans une autre discipline que le dispensateur de soin faisant l’objet du contrôle.

Cette question, il faut également le relever à ce stade de l’exposé des faits, n’est pas purement théorique. En effet, dans certains cas – et ceci n’a jamais été démenti par le SECM dans le cours de la procédure –, pour un non professionnel, une dent obstruée avec du composite (la matière blanche) peut présenter l’apparence d’une dent n’ayant jamais fait l’objet d’aucune obturation. Dans ces cas, seul un spécialiste (c’est-à-dire un praticien de l’art dentaire) peut faire la différence entre une dent obstruée et une dent qui ne l’a jamais été ou seule une radiographie de la dent en cause permet de constater l’existence d’une obturation par composite.

-5. Au terme des investigations ci-dessus, le SECM a pris un contact téléphonique avec le requérant en vue de son audition.

La date initialement convenue (le 7 février 2008) a, tout d’abord, été reportée par mail au 18 février 2008. En l’absence de confirmation de la part du requérant, le SECM lui a adressé un courrier recommandé de convocation le 7 février 2008 pour une audition le 18 février 2008.

Selon le SECM, ce courrier recommandé mentionne « le caractère obligatoire » des contrôles par référence aux articles 150 et 171 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 (telle qu’elle était applicable le 7 février 2008).

Il est libellé comme suit :

« Dans le cadre de nos missions légales de contrôle de l’assurance soins de santé et indemnités, nous sommes amenés à vous entendre conformément à la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités.

A cet effet, nous vous avons contacté par téléphone au 0488/57.xx.xx le 28 janvier 2008 et avions convenu avec vous de la date du 07 février 2008 à 13 heures pour un entretien en nos bureaux à Liège.

Nous avons bien reçu votre courriel du 06 février 2008 par lequel vous nous avez demandé de reporter cette date par exemple au 14 février 2008, pour motif de santé.

Nous vous avons répondu par courriel le 06 février 2008 que la date du 14 février ne nous convenait pas et nous vous avons proposé la date du lundi 18 février 2008 soit le matin, soit l’après-midi vous priant de prendre contact avec notre Service pour confirmer cette date.

Nous avons également tenté de vous recontacter par téléphone au 0488/57.xx.xx, sans succès, le 06 février 2008 vers 14h15 et le 07 février 2008 vers 9h43 où nous avons pu laisser un message sur la messagerie vocale de votre téléphone afin de vous demander de nous confirmer la date et l’heure proposée le 18 février 2008.

Nous n’avons à ce jour reçu aucune confirmation de votre part.

Dès lors, nous vous fixons par la présente, rendez-vous pour un entretien en nos locaux le lundi 18 février 2008 à09 heures, INAMI, Rue Fabry, 25-27, à 4000 Liège. Nous vous prions de vous munir de la présente convocation ainsi que de votre carte d’identité.

Nous attirons votre attention sur le caractère obligatoire du contrôle (art. 150 de la Loi coord. le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités).

Tout obstacle mis à la mission des médecins-inspecteurs constitue une infraction pénale prévue par l’art. 171 de la Loi coord. précitée.

Article 150 :

« (…) les personnes autorisées à fournir les prestations de santé définies par la présente loi coordonnée et les bénéficiaires sont tenus de donner aux médecins-inspecteurs, (…) tous les renseignements et documents dont ils ont besoin pour exercer leur mission de contrôle. (…) « .

Article 171 :

« (…), est punie d’une peine d’emprisonnement de huit jours à un mois et/ou d’une amende de 26 à 500 EUR, toute personne qui fournit des renseignements inexacts ou qui met obstacle à l’accomplissement de la mission, soit des médecins-conseils, des médecins-inspecteur (…) ».

La présente vous est adressée par la voie postale ordinaire et par la voie de la recommandation postale ».

En fait de mention du « caractère obligatoire » des contrôles, ce courrier comprend essentiellement l’affirmation de ce que tout refus d’audition ou tout manque de collaboration est susceptible d’être considéré comme un obstacle à l’exercice des missions du SECM et passible de sanction pénale.

On ne trouve pas trace, par contre, dans ce courrier de ce que le prestataire visé par une enquête du SECM n’est pas tenu de participer à sa propre incrimination, information pourtant essentielle puisque participant de l’exercice des droits de la défense.

On ne trouve pas non plus trace, par contre, dans ce courrier des faits et griefs précis à propos desquels le prestataire sera entendu.

C’est dans ce contexte – c’est-à-dire après s’être senti « menacé » de poursuites pénales s’il ne collaborait pas à l’enquête et sans avoir une connaissance préalable et précise des griefs qui lui étaient reprochés – que le requérant a été entendu par le médecin inspecteur du SECM le 18 février 2008.

En fait d’audition, il s’est surtout agi pour le médecin inspecteur du SECM de confronter le requérant à un résumé des auditions de ses 30 patients sélectionnés et des constats dentaires réalisés, à l’inviter à réagir et à présenter « sur-le-champ » ses arguments de défense, et, idéalement, à reconnaître immédiatement le caractère fondé des griefs. Il est à noter que l’audition du requérant ne s’est pas déroulée à son cabinet – là où il avait ses dossiers à portée de main -, mais dans les bureaux du SECM. Pris sur le vif, sans que la possibilité ait été offerte au requérant de consulter ses dossiers afin d’y trouver des éléments de réponse à objecter aux accusations du SECM, et sans que cette option lui ait été proposée, le requérant a indiqué être « prêt à rembourser les erreurs que j’aurai engendrées en termes d’indus » et qu’il accepterait « le remboursement sur base des 30 cas que vous avez examinés, mais l’extrapolation à 102.705,9 € me pose problème. Ce montant est trop important et je ne saurais pas le rembourser ».

Il est revenu sur cet accord par écrit dès le lendemain de son audition en indiquant n’avoir donné son accord à propos du remboursement d’un indu que pour « éviter des poursuites pénales » et donc pas parce qu’il reconnaissait les faits.

Il s’est ensuite vu notifier par courriers recommandés le procès-verbal de son audition du 18 février 2008, son correctif daté du 28 février 2008 et trois procès-verbaux de constat datés du 17 janvier 2008. Un quatrième procès-verbal de constat lui a été notifié le 28 février 2008.

-6. Le SECM a, ensuite, établi une note de synthèse et déposé une requête devant la Chambre de première instance le 23 octobre 2008.

Cette requête a été notifiée au requérant par courrier recommandé le 24 octobre 2008 et par courrier ordinaire le 26 novembre 2008.

Le requérant n’a pas retiré le courrier recommandé et n’a pas adressé de conclusions ou pièces dans le cadre de la procédure de première instance.

Il a été convoqué et s’est fait représenter à l’audience du 12 novembre 2009 de la Chambre de première instance. Il était, à cette occasion, assisté et représenté par un conseil en la personne du Docteur BOURGUIGNON.

Des pièces ont été déposées, mais écartées des débats par la Chambre lors de son délibéré en raison de leur communication tardive. Les demandes de mesures d’instructions complémentaires et la demande de comparution personnelle, sollicitées lors de l’audience ont également été rejetées par la Chambre de première instance après avoir été examinées au fond.

La Chambre de première instance a rendu sa décision le 1er octobre 2009. Son dispositif est identique à celui de la décision de la Chambre de recours qui fait l’objet de la présente procédure.

-7. Le requérant a déposé une requête d’appel à l’encontre de la décision de la Chambre de première instance le 15 décembre 2009.

Les parties ont échangé des conclusions et le requérant a formulé une demande de désignation d’un expert statisticien.

La Chambre de recours a rendu une décision « avant dire droit » le 19 janvier 2009.

Son dispositif est ainsi libellé :

« Après avoir déclaré l’appel recevable, ordonne une réouverture des débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur les conséquences éventuelles de l’entrée en vigueur du Code pénal social, le 1er juillet 2011, en la présente cause et fixer la réouverture des débats au jeudi 26 avril 2012 à 15h00 ».

La Chambre de recours était alors composée « de Monsieur Philippe LAURENT, président et des docteurs Isabelle HANOTIAU et Sophie CARLIER, représentants des organismes assureurs, et de Messieurs Jacques LEMAL et Alain BREMHORST, représentants des praticiens de l’art dentaire, assistée de Monsieur Stéphane VERBOOMEN, greffier ».

-8. Après que les parties aient déposé des conclusions sur la question faisant l’objet de la réouverture des débats et aient été entendues lors de l’audience du 26 avril 2012, l’affaire a été prise en délibéré par la Chambre de recours.

Cette dernière a rendu la décision dont le dispositif a été détaillé plus haut le 28 août 2012, soit une décision sur le fond de l’affaire portée par le SECM à l’encontre du requérant.

La Chambre de recours était alors composée « de Monsieur Philippe LAURENT, président et des docteurs Maurice ANCKAERT et Sophie CARLIER, représentants des organismes assureurs, et de Messieurs Philippe RIETJENS et Alain BREMHORST, représentants des praticiens de l’art dentaire, assistée de Monsieur Stéphane VERBOOMEN, greffier ».

La décision de la Chambre de recours a été notifiée au requérant par un courrier recommandé daté du 29 août 2012.

II. LES MOYENS

II.1. Premier moyen

II.1.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-9. Pris de la violation de l’article 149 de la Constitution, de la violation de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de la violation de l’obligation de répondre à toute demande, toute exception, toute défense et tout moyen formulés par les parties, de la violation de l’obligation de motivation suffisante, admissible, claire et non contradictoire, de la violation de l’arrêté royal du 9 mai 2008 fixant les règles de fonctionnement et le règlement de procédure des Chambres de première instance et des Chambres de recours instituées auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI, principalement ses articles 13, 14 et 19, § 6, de la violation des articles 6 et 1138, 4°, du Code judiciaire.

Premier grief

En ce que la décision de la Chambre de recours ne statue pas sur la demande de désignation d’expert sollicitée par le requérant dans sa requête d’appel et dans sa requête du 8 mai 2010 « sur pied l’article 18, § 3, de l’A.R. du 9.5.2008 (Règlement de procédure) »,

Alors que les juridictions administratives sont tenues de répondre aux demandes de mesures d’instruction sollicitées par les parties, spécialement lorsque le fait susceptible d’être établi à la suite de la demande pourrait être déterminant pour l’issue du litige.

Deuxième grief

En ce que, d’une part, la décision de la Chambre de recours n’a pas pris en considération l’attestation communiquée par le requérant en degré d’appel permettant de prouver que, s’il ne disposait pas d’un amalgamateur conventionnel, il disposait d’un mélangeur « Vocomix » produisant de l’amalgame et pouvait donc régulièrement porter en compte de l’assurance maladie-invalidité les obturations effectuées avec de l’amalgame, ou que la décision de la Chambre de recours ne fait pas apparaître qu’elle aurait pris cet élément en considération. La même critique vaut pour les commentaires (oraux et écrits) apportés par le requérant en appui aux clichés (dentaires) produits afin de mettre en cause certaines constatations objectives du médecin inspecteur du SECM (soi-disant absence de dents pour lesquelles des soins dentaires ont été attestés par le requérant, soi-disant absence d’obturation alors qu’une obturation en composite est présente). La même critique vaut également pour les conclusions additionnelles du requérant dans lesquelles de nombreux arguments mettant en cause la « méthode d’extrapolation » du SECM sont avancés sans qu’il n’y soit fait aucune référence dans la décision querellée ou, que par voie de conséquence, il y soit répondu.

Alors que les juridictions administratives sont tenues de fonder leurs décisions sur toutes les attestations et preuves produites par les parties et d’expliquer les raisons pour lesquelles elles rejettent telle ou telle offre de preuve d’une partie, spécialement lorsque le fait susceptible d’être établi à partir de cette preuve ou offre de preuve pourrait être déterminant pour l’issue du litige. Et alors que les juridictions administratives sont tenues de motiver leurs décisions par des considérations suffisante, admissible, claire et non contradictoire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Troisième grief

En ce que, pour justifier le bien-fondé et le caractère probant de la technique statistique dite de l’extrapolation utilisée par le SECM pour porter des griefs à charge des prestataires de soins de santé dont le requérant, de la Chambre d’appel se réfère, d’une part, à la validation récente de cette technique par une de ses décisions récentes inédites dont elle cite un extrait et se fonde, d’autre part, sur des considérations empruntées à la Chambre de première instance qu’elle dit faire sienne pour le surplus.

Alors que, d’une part, les décisions d’une juridiction administrative ne peuvent être motivées exclusivement par référence à une de ses décisions antérieures, a fortiori sans que les motifs pour lesquels elle s’y réfère soient mentionnés et sans que cette décision antérieure soit elle-même motivée. Et alors que, d’autre part, cette motivation par référence à une décision antérieure de la Chambre de recours doit être considérée comme exclusive dès lors que c’est la seule qui subsiste lorsque l’on a constaté que l’autre volet de la motivation de la décision à ce propos, emprunté à la Chambre de première instance, l’a été au terme d’une violation des principes énoncés au moyen puisqu’il est affirmé par la Chambre de recours pour justifier l’appropriation des motifs de la décision de première instance que « L’appelant n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà exposés oralement par son conseil lors de l’audience de la chambre de première instance », ce qui est manifestement contraire à la réalité.

Quatrième grief

En ce que la Chambre de recours affirme, d’une part, en page 8 de sa décision que « L’appelant n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà exposés oralement par son conseil lors de l’audience de la chambre de première instance » dans la partie de sa décision consacrée à la « sélection des patients opérée par le SECM » (point 3, pages 7 et 8 ) et « examine », d’autre part, dans la partie de sa décision consacrée à la « sélection des patients – choix de l’échantillon » (point 7, pages 10 à 14 de sa décision) les conclusions unilatérales de l’expert statisticien mandaté par le requérant comportant des éléments mettant en cause la manière dont le SECM a sélectionné les patients incorporés dans l’échantillon de patients qui a servi de base à « l’extrapolation » opérée par le SECM.

Alors que les décisions des juridictions administratives doivent reposer sur des motifs admissibles, clairs, suffisants et non contradictoires de manière à permettre à Votre Conseil d’exercer son contrôle.

Cinquième grief

En ce que la Chambre de recours se contente de renvoyer aux motifs de la décision de la Chambre de première instance dans le point 4 de sa décision relatif à la question de l’incorporation des cas prescrits dans l’échantillon, après avoir constaté que « L’appelant estime que la chambre de première instance « commet une erreur lorsqu’elle admet que des prestations prescrites soient incorporées dans l’échantillon destiné à calculer le coefficient d’extrapolation ».

Alors que la Chambre de recours ne pouvait, sans violer les principes et dispositions visés au moyen, se contenter de renvoyer aux motifs de la décision de première instance sur la question de l’incorporation des cas prescrits dans l’échantillon à partir duquel l’extrapolation a été réalisée pour le motif que le requérant contestait la décision de la Chambre de première instance sur ce point et avait déposé des conclusions sur cette question.

II.1.2. A titre principal

II.1.2.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-10. A titre principal, la partie adverse soutient que le moyen serait irrecevable en ce qu’il vise les articles 13, 14 et 16, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 parce que la requête ne préciserait pas en quoi ces dispositions seraient violées

Elle soutient également que le moyen serait irrecevable en ce qu’il vise l’article 1138, 4° du Code judiciaire. Selon la partie adverse l’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat s’opposerait à ce que la violation de l’article 1138, 4°, du Code judiciaire puisse être invoquée dans le cadre d’un pourvoi en cassation administrative pour le motif que « le Conseil d’Etat, juge en cassation administrative, ne peut donc connaître que des moyens pris de la contravention à la loi ou de la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité ».

Elle soutient enfin que la Chambre de recours a valablement motivé sa décision au regard des exigences de motivation formelle de l’article 149 de la Constitution. Afin d’apporter la preuve du bien-fondé de son affirmation, elle rappelle en citant de la jurisprudence que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est étrangère à la valeur ou à la pertinence des motifs d’une décision juridictionnelle, ne permet pas de sanctionner une réponse incomplète donnée par les juges d’appel, ne permet pas de sanctionner une erreur de droit ou de fait dans un motif d’une décision juridictionnelle, et n’exigerait pas que le juge réponde un à un à tous les arguments de la partie requérante. Elle rappelle également qu’il suffit, pour constater l’absence de violation de cette disposition constitutionnelle, qu’il ressorte de l’ensemble de la décision juridictionnelle les raisons pour lesquelles la demande, l’exception, la défense ou le moyen ont été rejetés.

II.1.2.2. Réponse à l’argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-12. Les articles 13, 14 et 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 prévoient respectivement ce qui suit :

Article 13 :

« Les parties communiqueront les pièces qui ne figurent pas déjà au dossier de procédure avant leur emploi.

La partie requérante doit faire cette communication dans les quinze jours de la notification par le greffe de l’inscription de la cause au rôle et la partie adverse avec la communication de ses conclusions.

Tous mémoires, notes, pièces ou requêtes non communiqués au plus tard en même temps que les conclusions, sont écartés d’office des débats ».

Article 14 :

« La communication des pièces a lieu soit par pli recommandé à la poste soit par le dépôt des pièces au greffe, où les parties pourront les consulter sur place et s’en faire délivrer copie, le cas échéant, selon les modalités visées à l’article 11, alinéa 2. Les pièces sont préalablement enliassées et inventoriées ».

Article 19, § 6 :

« Les décisions sont motivées et prononcées en audience publique par le président. Elles sont signées par le président et le membre du greffe qui l’assiste ».

-13. Les articles 13 et 14 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 prévoient qu’il est possible, moyennant le respect de certains délais, de produire des pièces nouvelles devant la Chambre de recours.

Ainsi que cela ressort de la requête, ces dispositions sont à mettre directement en rapport avec les critiques relatives à l’absence de prise en compte des pièces et preuves (deuxième grief) que le requérant a fait valoir dans le cadre de la procédure d’appel, plus particulièrement : l’attestation relative au « Vocomix », les clichés dentaires, le commentaire écrit des clichés dentaires et leur commentaire oral.

En effet, l’exposé de son deuxième grief reproduit ci-dessus le requérant observe, d’une part, que la Chambre de recours n’a pas pris en considération l’attestation relative au « Vocomix », les clichés dentaires, le commentaire écrit des clichés dentaires et leur commentaire oral et, d’autre part, que les juridictions administratives sont tenues de fonder leurs décisions sur toutes les attestations et preuves produites par les parties.

Le lien avec les articles 13 et 14 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 est évident lorsqu’on prend la peine de lire ces dispositions ou lorsque, comme la partie adverse, on connaît parfaitement la teneur de ces dispositions.

Ainsi, seule une lecture particulièrement malveillante de la requête par la partie adverse lui permet de soutenir que le requérant n’aurait pas indiqué dans sa requête la manière dont les articles 13 et 14 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 ont été violés.

Le moyen est, donc, recevable en ce qu’il est pris de la violation des articles 13 et 14 de l’arrêté royal du 9 mai 2008.

-14. L’article 19 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 impose une obligation de motivation des décisions des Chambres de recours.

Il est surprenant de lire dans le mémoire en réponse de la partie adverse que la requête n’indiquerait pas en quoi cette disposition aurait été méconnue alors que les motifs de la décision entreprise sont abondamment critiqués (ce que la partie adverse ne peut contester vu l’argumentation qu’elle développe, notamment, en guise de réfutation de l’argument pris de la violation de l’article 149 de la Constitution).

Le moyen est, donc, recevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008.

-15. L’article 1138, 4°, du Code judiciaire prévoit que :

« Il n’y a pas d’ouverture de requête civile, mais seulement, et contre les décisions rendues en dernier ressort, possibilité de pourvoi en cassation pour contravention à la loi :

(…)

4° si dans un jugement il y a des dispositions contraires ».

Cette disposition énonce le principe selon lequel des dispositions contraires dans un jugement peuvent donner lieu à pourvoi en cassation, et donc à cassation.

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure en cassation devant le Conseil d’Etat.

L’article 156, § 2, de la loi ASSI qui prévoit que les décisions de la Chambre de recours peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat n’est certainement pas inconciliable avec l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat ne l’est pas non plus, bien au contraire puisque ce que le requérant invoque dans le volet de son moyen ici discuté est une violation de la loi, soit de l’article 1138, 4°, du Code judiciaire qui pose le principe que les jugements ne peuvent pas contenir des dispositions contraires.

L’exception soulevée par la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149, de l’article 19 de l’arrêté royal du 9 mai 2008, de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de l’obligation de répondre à toute demande, toute exception en défense, toute défense et tout moyen formulé par les parties ainsi que de l’obligation de motivation suffisante, admissible, claire et non contradictoire. Or, comme il l’est exposé ci-dessous, ces dispositions et principes contiennent l’obligation exprimée à l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

-16. Le requérant connaît la portée de l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution. Il sait que cette obligation est de pure forme.

Ce n’est toutefois pas parce que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est de pure forme, qu’elle ne peut pas avoir été violée la Chambre d’appel. En effet, une décision juridictionnelle est motivée au sens de l’article 149 de la Constitution lorsque le juge indique clairement et sans équivoque les raisons, fussent-elles erronées et illégales, qui l’ont déterminé à statuer comme il l’a fait (C.E., n° 193.340 du 15 mai 2009, Pereira de Magalhaes cité en note (8) de la page 1473 par J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, dans l’ouvrage suivant : Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012).

En l’occurrence, le requérant a développé des arguments dans sa requête ayant pour objet de démontrer que la Chambre d’appel n’a pas indiqué clairement et sans équivoque les raisons qui l’ont déterminée à statuer comme elle l’a fait. Le requérant a, ainsi notamment, mis en évidence des contradictions dans les motifs de la décision querellée, lui a reproché de ne pas avoir statué sur les demandes d’expertises qu’il avait sollicitées et sur des éléments en défense précis développés dans ses écrits de procédure et lors des audiences.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une contradiction dans les motifs est une cause de violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass., 26 avril 2010, C.09.0485.F disponible sur Juridat sous la référence F-20100426-5). De même, selon la Cour de cassation, laisser sans réponse une défense précise et circonstanciée qui invoquait des éléments objectifs vérifiables est également constitutif d’une violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass, 29 juin 2000, C.980512-F disponible sur Juridat sous la référence F-20000629-5).

Seul l’examen du moyen au fond permettra à Votre Conseil de conclure à sa recevabilité ou son irrecevabilité en ce qu’il est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.

Le requérant ajoutera à ce qui précède qu’il ne s’est pas contenté d’invoquer la violation de l’article 149 de la Constitution dans le premier moyen de sa requête, mais qu’il a invoqué parallèlement la violation de l’article 19 de l’arrêté royal du 9 mai 2008, de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de l’obligation de répondre à toute demande, toute exception en défense, toute défense et tout moyen formulé par les parties ainsi que de l’obligation de motivation suffisante, admissible, claire et non contradictoire.

La partie adverse ne dit pas un mot de la violation de ces principes généraux. Elle ne prend même pas la peine de les citer dans le résumé du moyen qu’elle fait en page 4 de son mémoire en réponse.

Or, ces principes fondent et déclinent l’obligation générale de motivation « qualitative » des juridictions administratives.

Selon la doctrine (fondée sur la jurisprudence de Votre Conseil notamment), en effet, « Même en l’absence d’un texte particulier le prescrivant expressément, les juridictions administratives ont l’obligation de motiver leurs décisions. Cette obligation de forme est inséparable de tout acte de juridiction et revêt un caractère substantiel. Elle permet au justiciable, comme au Conseil d’Etat, de s’assurer que le juge a appliqué les règles de procédure, qu’il a examiné les éléments du dossier et répondu aux moyens qui lui ont été présentés. Bref, la motivation est le soutènement du dispositif » (J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, n° 593, pp. 1470 et 1471).

Selon les auteurs précités, les conditions auxquelles doit satisfaire la motivation des décisions juridictionnelles sur un plan qualitatif sont les suivantes : motivation suffisante (point 593.2.1), motivation admissible (593.2.2), motivation claire (593.2.3), motivation non contradictoire (593.2.4), réponse aux moyens et aux demandes (593.2.5), égard aux devoirs prescrits (593.2.6), égard aux offres de preuves, aux demandes d’enquêtes ou à d’autres mesures sollicitées (593.2.7) et motivation de la décision d’une juridiction administrative d’appel (593.2.8).

Pour les raisons ci-dessus, le moyen est recevable en ce compris en ce qu’il est pris de la violation des articles 13, 14 et 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008, de l’article 1138, 4° du Code judiciaire et de l’article 149 de la Constitution.

II.1.3. Sur le premier grief

II.1.3.1. Rappel du premier grief tel que développé dans la requête

-17. Le requérant a sollicité la désignation d’un expert statisticien qui pourrait réaliser une expertise contradictoire, et ce à la fois dans sa requête d’appel et dans sa requête fondée sur l’article 18, § 3, de l’arrêté du 9 mai 2008 fixant les règles de fonctionnement et le règlement de procédure des Chambres de première instance et des Chambres de recours instituées auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI.

L’article 18, § 3, de l’arrêté du 9 mai 2008 prévoit que : « Les Chambres de première instance et les Chambres de recours peuvent ordonner toute mesure d’avant dire droit ».

L’article 10 de l’arrêté du 9 mai 2008 prévoit que :

« Un dossier de procédure, conservé au greffe, est constitué pour les causes inscrites aux rôles des Chambres de première instance et des Chambres de recours.

Le dossier de procédure contient notamment :

1° les actes introductifs d’instance et les pièces déposées à l’appui de ceux-ci;

2° les pièces complémentaires déposées en cours d’instance par les parties;

3° les notifications, conclusions et mémoires des parties;

4° les procès-verbaux d’audience ou des mesures d’instruction ordonnées par le président, en particulier la comparution des témoins ou la désignation d’experts ainsi que tous autres actes établis par le président;

5° l’acte relatant le serment de l’expert et des témoins;

6° les rapports dressés en exécution des mesures provisoires visées à l’article 18, § 3;

7° le dossier d’enquête constitué par le Service d’évaluation et de contrôle médicaux;

8° les décisions rendues en la cause ».

La lecture isolée de l’article 18, § 3, ou à la lumière de l’article 10, 4° et 5°, démontre que le requérant était en droit de solliciter la désignation d’un expert, en ce sens que la procédure devant la Chambre de recours n’excluait pas la possibilité de voir un expert désigné.

A défaut d’avoir été traitée dans une décision avant dire droit, la demande de désignation d’un expert statisticien devait être abordée et tranchée dans la décision querellée. En ne tranchant pas cette question, la Chambre de recours a négligé de répondre à une demande du requérant.

En ne tranchant pas la question, non seulement la Chambre de recours a violé son obligation de motivation (fondée sur les principes visés au moyen), et n’a pas statué sur une demande qui lui a été valablement soumise par une partie, manquant ainsi à son obligation de statuer sur tous les points de droit sur lesquels elle devait se prononcer.

Pour autant que la question se pose, on observera que la demande de désignation d’un expert par la Chambre de recours n’était pas subsidiaire, mais intéressait directement l’issue du litige. Elle concernait la « méthode d’extrapolation » du SECM, c’est-à-dire la manière dont le SECM a établi les griefs à charge du requérant. En outre, elle était justifiée par la nécessité qu’un expert indépendant évalue contradictoirement « la validité statistique de l’extrapolation à laquelle le SECM a procédé dans ce dossier et, après avoir entendu les deux parties » dès lors que, d’une part, le requérant mettait cette méthode sérieusement en cause (par la production d’un rapport d’un expert statisticien et par les développements approfondis contenus dans ses conclusions additionnelles) et que, d’autre part, la Chambre de recours n’a soit pas répondu, soit pas répondu de manière à remplir son obligation de motivation aux critiques ainsi soulevées par le requérant.

II.1.3.2. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-18. La partie adverse affirme que la décision querellée a répondu aux demandes d’expertises formulées par la partie requérante.

Elle indique qu’il a été répondu à la demande qu’il soit procédé à une expertise dentaire des patients de l’échantillonnage dans l’extrait suivant de la décision entreprise (page 10) :

« (cette demande) paraît irrecevable aujourd’hui car tardive et impraticable. En effet, cette demande supposerait au préalable que les patients de l’appelant acceptent, au préalable, d’être soumis à un examen dentaire contradictoire. Elle supposerait également pour être fiable que leur état de santé dentaire n’ait pas évolué : or, il est fort probable que les patients ont subi d’autres soins dentaires depuis la clôture de l’enquête du SECM et il ne peut être exclu, par ailleurs, que ces nouveaux soins dentaires aient été réalisés chez un autre dentiste que l’appelant (…) ».

Elle indique que la demande de désignation d’un expert statisticien a été examinée dans le cadre de l’examen de la problématique de l’échantillonnage en page 13 de la décision et qu’il a, à cette occasion, été « implicitement, mais certainement » été jugé que la désignation d’un expert statisticien était inutile.

Elle ajoute à propos de la désignation de cet expert statisticien que la demande formulée dans la requête déposée sur la base de l’article 18, § 3, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 portait exclusivement sur la désignation d’un expert statisticien « statutaire ou appointé de l’INAMI », que le requérant avait lui-même fait appel à un expert statisticien dont l’avis a fait l’objet d’observations de la part de la « partie adverse » et qu’il avait, pour ces motifs, pu paraître « aux yeux de la Chambre de recours, inutile d’interroger à nouveau un (autre) expert statisticien (statutaire ou appointé de l’Inami).

Elle ajoute également à propos des deux demandes d’expertise qu’elles étaient formulées à titre subsidiaire dans la requête d’appel et dans les conclusions du 7 juin 2010 du requérant.

Ces éléments permettraient, selon la partie adverse, de conclure que le premier grief n’est pas fondé.

II.1.3.3. Réplique

-19. Premièrement, la partie adverse ne conteste pas dans son mémoire en réponse que les demandes d’expertises formulées par le requérant devaient trouver une réponse dans la décision de la Chambre de recours.

Elle ne conteste pas non plus que ces demandes d’expertises ne sont pas tranchées dans le dispositif de la décision entreprise. Or, ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée des articles 10 et 18, § 3 de l’arrêté du 9 mai 2008 et des autres dispositions et principes visés au moyen, ces demandes devaient être tranchées dans le dispositif de la décision entreprise ou dans le dispositif d’une décision avant dire droit. A défaut, elles ne sont pas tranchées puisqu’il n’est pas contestable que les motifs ne sont rien d’autre que le soutien du dispositif.

Ce qui précède suffit à démontrer le bien-fondé du premier grief du premier moyen.

-20. Deuxièmement, le renvoi au passage précité en page 10 de la décision querellée ne permet pas de démontrer que le premier grief du premier moyen ne serait pas fondé en ce qu’il reproche à la Chambre de recours de ne pas avoir statué sur les demandes d’expertises formulées par le requérant.

Tout d’abord, l’affirmation contenue dans ce passage dont il résulterait que la demande de procéder à une expertise dentaire des patients de l’échantillonnage « paraît irrecevable aujourd’hui car tardive et impraticable » entre directement en contradiction avec les articles 18, § 3 et 10, 4° et 5° de l’arrêté royal du 9 mai 2008 qui prévoient que la Chambre de recours peut ordonner des expertises.

Si les dispositions applicables à la procédure devant la Chambre de recours prévoient la possibilité de demander et d’obtenir la désignation d’experts, on ne comprend pas la raison pour laquelle la Chambre de recours affirme dans les motifs de la décision entreprise qu’une telle demande serait irrecevable, car tardive.

On ne comprend pas non plus pourquoi l’expertise demandée serait impraticable. D’une part, comme l’indique la Chambre de recours elle-même, cela ne serait le cas que si les patients du requérant refusaient de se soumettre à une expertise contradictoire. Or, la Chambre de recours n’avait aucun élément en sa possession qui lui permettait de conclure que les patients du requérant refuseraient de se soumettre à une telle expertise. D’autre part, le fait que l’état de santé dentaire des patients du requérant ait évolué ne rend pas une expertise impraticable. Tout au plus une telle expertise pourrait être considérée comme inutile parce que risquant d’être non concluante.

Or, ce n’est pas de cette manière que la décision de la Chambre de recours sur ce point est motivée. Et quand bien même cela eut été le cas, cette motivation n’aurait pas, en l’espèce, été admissible eu égard à l’argumentation présentée en défense par le requérant et aux preuves qu’il a produites. On rappellera, en effet, que le requérant a produit des clichés dentaires de patients de l’échantillonnage du SECM prouvant que certaines dents que le SECM disait inexistantes étaient bien présentes. Comment, face à une telle preuve, la Chambre de recours a-t-elle pu rejeter une demande d’expertise contradictoire de l’état dentaire des patients de l’échantillonnage sur la base de la motivation figurant en page 10 de la décision querellée ?

-21. Troisièmement, les affirmations de la partie adverse en page 6 de son mémoire en réponse (point 1.4) ne permettent pas de démontrer que le premier grief du premier moyen ne serait pas fondé en ce qu’il reproche à la Chambre de recours de ne pas avoir statué sur les demandes d’expertises formulées par le requérant.

En effet, contrairement à ce que soutient la partie adverse dans son mémoire en réponse (page 6), la Chambre de recours n’a pas « implicitement, mais certainement, jugé inutile la désignation d’un expert statisticien » à l’occasion de son « examen de la problématique de l’échantillonnage en page 13 de sa décision ».

Cette explication de la partie adverse n’est pas crédible et est contraire à la réalité : la Chambre de recours a oublié (volontairement ou involontairement) de répondre à la demande d’expertise contradictoire formulée à deux reprises par le requérant : la première fois dans sa requête d’appel et la seconde fois dans une requête distincte de sa requête d’appel fondée sur l’article 18, § 3, de l’arrêté royal du 9 mai 2008.

On en veut pour preuve le fait que cette demande n’est évoquée nulle part dans la décision querellée, ni explicitement ni implicitement. Elle n’est pas visée dans les visas introductifs de l’arrêt. Et s’il est exact que le rapport d’expertise unilatérale versé aux débats par le requérant a été discuté par la Chambre de recours en page 13, il n’est pas fait la moindre allusion à l’existence même d’une demande d’expertise contradictoire formulée par le requérant.

Les autres explications de la partie adverse ne sont pas de nature à contredire le point de vue du requérant. D’une part, on n’aperçoit pas en quoi le fait que la demande de désignation d’un expert statisticien ait été formulée à titre subsidiaire dans la requête d’appel dispensait la Chambre de recours d’examiner et de trancher la demande. D’autre part, on n’aperçoit pas en quoi le fait de demander la désignation d’un expert statisticien « statutaire ou appointé de l’INAMI » dans la requête fondée sur l’article 18, § 3 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 aurait pu justifier que la Chambre de recours n’examine pas et ne tranche pas la demande. Enfin, on n’aperçoit pas pour quel motif le fait que le requérant avait fait lui-même appel à un expert statisticien dispensait la Chambre de recours d’examiner et de traiter la demande du requérant.

Ces explications auraient le cas échéant pu être de nature à « motiver » une décision de refus de faire droit à la demande de désignation d’un expert du requérant. Le fait qu’elles ne figurent pas dans les motifs de la décision querellée démontre ainsi à suffisance que, contrairement à ce que prétend la partie adverse, elle n’a pas examiné la question de la demande d’expertise fût-ce implicitement.

-22. Il résulte de ce qui précède que le premier grief est fondé. Il est susceptible d’emporter la cassation de l’ensemble de la décision entreprise. La partie adverse ne conteste, en effet, pas que la demande de désignation d’un expert par la Chambre de recours intéressait directement l’issue de la procédure devant les juridictions administratives de l’INAMI.

II.1.4. Sur le deuxième grief

II.1.4.1. Rappel du premier grief tel que développé dans la requête

-23. Premièrement, dans la décision de première instance, il a, entre autres choses, été jugé que : « S’agissant de même de (l’) affirmation (du requérant) selon laquelle il n’a pas été matériellement constaté qu’il n’avait pas d’amalgamateur, outre qu’elle est en contradiction avec ses propres déclarations, elle pourrait aisément être confirmée, s’il avait ou utilisait un amalgamateur, par le dépôt de factures d’achat d’un tel appareil ou de fournitures, ce qui n’est pas le cas »

Dans le cadre de la procédure d’appel, le requérant a produit la preuve qu’il possédait un appareil capable de produire de l’amalgame (le mélangeur « Vocomix » fonctionnant à l’aide de capsules pré-dosées – Pièce 5 du dossier déposé par le requérant en appel).

La décision entreprise ne fait pas apparaître que la Chambre de recours aurait eu égard à cette attestation, fût-ce pour lui dénier tout caractère probant. Elle n’en parle à aucun moment.

Mieux, la décision entreprise s’approprie les motifs précités de la décision de la Chambre de première instance (page 6), desquels il ressort que le requérant n’aurait pas apporté la preuve qu’il disposait d’un amalgamateur.

Cette insuffisance de motifs n’est pas secondaire, sans conséquence ou non déterminante pour l’issue du litige. La production de cette preuve était a priori pertinente dès lors qu’elle était directement en rapport avec un grief qui était adressé par le SECM au requérant, à savoir : avoir porté en compte des obturations effectuées à l’aide d’amalgame alors qu’il ne disposait pas de l’appareillage nécessaire afin de réaliser des obturations de cette nature (mais uniquement en composite).

Dès lors qu’on ne trouve pas un mot dans la décision entreprise à propos de la production de cette preuve par le requérant ou sur les motifs qui ont pu déterminer la Chambre de recours à ne pas la prendre en considération, la décision querellée viole les principes visés au moyen.

-24. Deuxièmement, la décision querellée mentionne ce qui suit s’agissant de l’appréciation portée par la Chambre de recours sur la production, la projection aux audiences, le commentaire écrit (pièce 8 déposée en annexe aux conclusions) et oral de clichés dentaires de certains patients en appui à la défense du requérant :

« Enfin, c’est à juste titre que l’intimé constate que les clichés, produits pour la première fois en même temps que le dépôt de la requête d’appel de l’appelant, sont déclarés dater de 2008 (à l’exception d’un cliché de 2005) et sont donc postérieurs au contrôle effectué par le SECM et même postérieurs d’environ 2 ans par rapport aux dates des prestations reprochées.

En outre, les documents iconographiques ne permettent pas de manière univoque l’identification des dents en cause : photos centrées sur 1 ou 2 et aucune certitude quant à l’identification (déclarée par le prestataire) des assurés sur ces clichés informatisés » (décision, pages 6 et 7).

Il n’est pas question, ailleurs dans la décision querellée, des clichés dentaires produits, projetés et commentés par écrit et oralement lors des deux audiences par le requérant.

Ainsi, si ce dernier a la certitude que la Chambre de recours a eu égard aux clichés déposés et projetés, rien ne permet de constater que la Chambre de recours a eu égard aux commentaires (écrits ou oraux) du requérant à propos de ces clichés. On ne trouve nul renvoi, dans les visas de la décision par exemple, au commentaire écrit des clichés ou aux commentaires oraux qui ont accompagné leur projection lors des deux audiences.

La Chambre de recours se devait pourtant d’avoir égard à tous les moyens et éléments de preuve apportés par le requérant dès lors qu’ils étaient plus que de simples « arguments » et étaient susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue du litige.

Tel était bien le cas des commentaires écrits (pièce 8) et oraux à propos des clichés dentaires. Ces derniers avaient pour but, comme indiqué dans les conclusions du requérant (page 4) de prouver a) que les obturations litigieuses ont effectivement été réalisées b) que, dans la majorité des cas, ces obturations à l’aide de matériau composite passent totalement inaperçues à l’œil nu.

La prise de connaissance des clichés et des commentaires qui les accompagnaient permettaient de constater que des dents que le SECM disait ne pas être présentes dans la bouche d’un patient l’étaient (par exemple, patient numéro 16) ou que des obturations non décelables à l’œil nu étaient visibles sur les clichés radiographiques produits. Ces éléments étaient de nature à mettre directement en cause les constatations du SECM à partir desquelles les « extrapolations » ont été faites, et les griefs dirigés à l’encontre du requérant.

La décision de la Chambre de recours ne dit pas un mot sur cette offre de preuve. Elle se contente d’écarter les clichés sans dire en quoi ils ne sont pas pertinents pour mettre en cause les constatations du SECM à l’origine des griefs dirigés contre le requérant, si ce n’est par une formule qui s’apparente à une formule de style et qui est, en outre, contraire à la réalité.

En effet, la prise de connaissance des clichés et des commentaires qui les accompagnaient permettait de constater que nombre des clichés produits dataient de 2006 (et non pas de 2008, contrairement à ce qui est affirmé dans la décision entreprise) et n’étaient donc pas « postérieurs d’environ 2 ans par rapport aux dates des prestations reprochées ».

Le premier motif pour lequel la Chambre de recours a rejeté l’offre de preuve proposée par le requérant (à propos d’un élément essentiel pour l’issue du litige) repose donc sur des considérations qui sont contredites par le dossier.

Le deuxième motif pour lequel la Chambre de recours a rejeté l’offre de preuve proposée par le requérant est que « les documents iconographiques ne permettent pas de manière univoque l’identification des dents en cause (…) et aucune certitude quant à l’identification (déclarée par le prestataire) des assurés sur ces clichés informatisés ».

En d’autres termes, la Chambre de recours a également motivé son refus de prendre en considération une preuve apportée par le requérant en mettant en cause la véracité de ses affirmations tant à propos de l’identification des dents en cause (leur emplacement dans la bouche) qu’à propos de l’identité même des patients dont les clichés étaient produits. Elle a accusé le requérant d’avoir produit de fausses preuves.

Une telle motivation n’est pas admissible, n’est pas suffisante, et ne repose sur aucun élément du dossier.

Elle est, en outre, contradictoire dans la mesure où le requérant avait proposé que la Chambre de première instance, et la Chambre de recours à sa suite, procède à la désignation d’un expert dentiste, ce qui a été refusé pour le motif que « vouloir en 2010 vérifier l’état dentaire d’assurés observés en 2007 relativement à des prestations de 2006 ne permettait aucune conclusion univoque. De nombreux soins dentaires peuvent avoir été effectués depuis l’audition des assurés, notamment postérieurement à la notification des procès-verbaux de constat à l’appelant » (décision, page 18).

Comment était-il possible à la Chambre de recours d’affirmer à la fois qu’elle n’avait que « les documents iconographiques ne permettent pas de manière univoque l’identification des dents en cause (…) et aucune certitude quant à l’identification (déclarée par le prestataire) des assurés sur ces clichés informatisés », et que l’expertise d’un dentiste ne se justifiait pas ?

Les motifs de la décision entreprise se contredisent sur un élément essentiel de la défense du requérant devant les juridictions administratives de la partie adverse. La décision entreprise viole donc l’obligation de ne pas faire reposer une décision juridictionnelle sur des motifs contradictoires (principe consacré par l’article 1136, 4° et le principe général de l’obligation de motivation admissible, pertinente et non contradictoire).

-25. Troisièmement, on ne trouve, dans la décision attaquée, aucune réponse (ou même référence) aux moyens soulevés dans les conclusions additionnelles du requérant, lesquelles portaient des développements détaillés et critiques sur la « méthode d’extrapolation » du SECM.

S’il était bien évidemment permis à la Chambre de recours de juger ces critiques non pertinentes – bien que l’on n’aperçoive pas comment elle aurait pu parvenir à cette conclusion sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation -, il lui revenait d’indiquer pourquoi dans la décision querellée.

Or, on n’y trouve aucune explication, si ce n’est sous la forme de clauses de style ou de reproduction de pans entiers de conclusions du SECM antérieures aux conclusions additionnelles du requérant et qui ne rencontrent donc pas des critiques aussi fondamentales que celle-ci (conclusions additionnelles, page 5) :

« 1. Les cas « réguliers » ont été exclus de la base de calcul du coefficient d’extrapolation

A la page 5/8 de ses conclusions additionnelles, le SECM écrit :

« …il faut sans doute admettre que tous les cas contrôlés ne s’étant pas avérés infractionnels … il se peut que le prestataire et son conseil aient une perception tronquée de la sélection qui fut effectivement réalisée puisque les cas réguliers n’apparaissent pas au terme de l’enquête car non retenus à grief ».

La notion de « cas » est bien définie à la même page 5/8 comme étant un patient (et non une « prestation »).

Le SECM reconnaît donc – en conclusions – que les patients chez qui ses inspecteurs n’ont pu mettre en évidence le moindre manquement ont tout simplement été exclus de la sélection « au terme de l’enquête ».

Evidemment, cela fausse complètement le coefficient d’extrapolation, puisque la sélection ne comporte plus que les cas « infractionnels » à l’exclusion des cas réguliers ».

Cette critique – comme les autres qui sont développées dans les conclusions additionnelles du requérant – est de nature à justifier la cassation de la décision entreprise dès lors qu’elle concerne une question qui intéresse directement l’issue du litige puisqu’elle a trait à la manière dont le SECM a établi ses griefs à l’encontre du requérant.

II.1.4.2. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-26. La partie adverse fait valoir que puisque l’attestation « Vocomix » était versée au dossier de la procédure, la Chambre de recours en a eu connaissance. En outre, nous dit-elle : « rien n’indique qu’elle n’aurait pas été prise en considération ».

Elle ajoute, d’une part, que « cette attestation rédigée en 2009 (non datée) communiquée en annexe à la requête d’appel du 15.12.2009, mentionne uniquement la livraison gratuite « en 2006 » d’un Vocomix, sans autre précision alors que les faits reprochés portent sur les années 2005 – 2006 ». Elle ajoute, d’autre part, que « Implicitement, mais certainement, la Chambre de recours a dû considérer cette pièce tardive, non pertinente voire non concluante ».

La partie adverse affirme, tout d’abord, à propos « de la problématique des clichés commentés » que la Chambre de recours s’est prononcée à leur sujet en pages 6 et 7 de sa décision. Elle ajoute, ensuite, que toutes les conclusions et pièces ont été versées au dossier et que rien n’indique, donc, que la Chambre de recours n’y aurait pas eu égard. Elle conclut en faisant référence au procès-verbal de l’audience du 26 avril 2012 que « la partie requérante et ses conseils ont bien été entendus lors de l’audience et que leur argumentation a donc été entendue et prise en compte ».

Ces éléments permettraient, selon la partie adverse, de conclure que le deuxième grief n’est pas fondé.

II.1.4.3. Réplique

-27. La partie adverse ne conteste pas dans son mémoire en réponse que la Chambre de recours n’a pas dit un mot de l’attestation « Vocomix » versée au dossier de la procédure par le requérant et commentée dans ses conclusions du 7 juin 2010. Elle tente, toutefois, d’expliquer que cela n’a aucune incidence sur la régularité de la décision entreprise et ne fonde pas le grief ici discuté.

On observera, toutefois, qu’affirmer comme le fait la partie adverse, que la présence de ladite attestation dans les pièces versées au dossier de la procédure suffirait à convaincre le requérant et Votre Conseil qu’elle a été prise en considération par la Chambre de recours lors de son délibéré, ne convainc pas. Ce n’est pas parce qu’une pièce figure dans un dossier ou qu’un argument est soulevé en termes de conclusions, que la juridiction compétente prend cette pièce ou cet argument en considération dans son délibéré.

On observera, également, qu’affirmer que la Chambre de recours a, implicitement mais certainement, pris l’attestation « Vocomix » en considération est démenti par les motifs de la décision entreprise. Si elle avait pris cette attestation en considération, elle n’aurait pas pu « observer » en page 6 que la « chambre de première instance a justement souligné dans la décision attaquée (point 11) que (…) S’agissant de même de (l’) affirmation (du requérant) selon laquelle il n’a pas été matériellement constaté qu’il n’avait pas d’amalgamateur, outre qu’elle est en contradiction avec ses propres déclarations, elle pourrait aisément être confirmée, s’il avait ou utilisait un amalgamateur, par le dépôt de factures d’achat d’un tel appareil ou de fournitures, ce qui n’est pas le cas ». Le Vocomix est, en effet, un appareil capable de produire de l’amalgame à l’aide de capsules pré-dosées

On observera enfin qu’affirmer que « Implicitement, mais certainement, la Chambre de recours a dû considérer cette pièce tardive, non pertinente voir non concluante » n’est guère utile s’agissant de tenter de démontrer que le deuxième grief du premier moyen n’est pas fondé.

En effet, si la Chambre de recours a implicitement jugé que la production de l’attestation « Vocomix » est tardive, elle a violé les articles 13 et 14 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 dont la violation est alléguée dans le présent moyen.

En outre, juger une attestation ou une offre de preuve comme tardive, n’est pas la même chose que juger une attestation ou une offre de preuve non pertinente ou non concluante.

Les explications de la partie adverse ajoutent à la confusion de la décision querellée.

-28. Si la partie adverse prétend que les clichés, leur projection et leur commentaire oral lors des audiences ont été pris en considération, elle ne dit pas un mot du commentaire écrit qui accompagnait les clichés versés au dossier de la procédure (pièce 8). Cela conforte le requérant dans le point de vue qui est le sien selon laquelle la Chambre de recours n’y a pas réellement eu égard.

Au-delà de ce qui précède, il faut relever que la partie adverse ne répond pas de manière convaincante aux critiques formulées dans la requête.

Ainsi qu’il l’a déjà été indiqué ci-dessus affirmer comme le fait la partie adverse, que « les conclusions et les pièces échangées par les parties ont été versées au dossier de procédure de la Chambre de recours » ne suffit pas à démontrer qu’elle y a eu égard lors de son délibéré. En outre, à considérer qu’il puisse valoir, cet argument ne vaut certainement pas en l’espèce pour des pièces dont on ne trouve aucune trace nulle part, même incidemment, dans la décision querellée. Tel est le cas des commentaires écrit et oral des clichés.

Le fait que le procès-verbal de l’audience du 26 avril 2012 indique que « Monsieur A explique sa version des faits avec projection de photos à l’appui. Monsieur HATZKEVICH participe à l’exposé en commentant également les photos » n’est pas plus pertinent pour démontrer que la Chambre de recours a eu égard à ces commentaires lors de son délibéré.

La seule manière de prouver que la Chambre de recours a eu égard à ces éléments dans son délibéré – fut-ce pour les rejeter – est qu’ils soient mentionnés dans les visas introductifs ou que certains motifs de la décision s’y réfèrent. Or, en l’espèce, on ne trouve pas la mention des commentaires écrit et oral à propos des clichés dans les visas – même indirectement parce que les conclusions échangées par les parties y seraient visées – ou dans les motifs de la décision entreprise.

En outre, pour les raisons exposées dans la requête à propos desquelles la partie adverse ne dit pas un mot (point -23 ci-dessus), il ne suffit pas à la partie adverse de renvoyer « en page 6 (bas de page) et page 7 de (la) décision » où il est question des clichés produits par le requérant pour apporter la preuve du caractère non fondé du grief. Ce faisant, la partie adverse ne répond pas aux critiques de motivation formulées par le requérant, lesquelles sont fondées.

-29. Enfin, la partie adverse ne répond pas à la troisième critique développée par le requérant dans ce deuxième grief, à savoir que la décision attaquée ne comporte aucune réponse (ou même référence) aux moyens soulevés dans les conclusions additionnelles du requérant, lesquelles portaient des développements détaillés et critiques sur la « méthode d’extrapolation » du SECM.

II.1.5. Sur le troisième grief

II.1.5.1. Rappel du premier grief tel que développé dans la requête

-30. Vous avez jugé dans Votre arrêt n° 196.577 du 1er octobre 2009, xxx, qu’il résulte notamment de l’article 6 du Code judiciaire « qu’un juge ne peut fonder sa décision exclusivement sur un arrêt antérieur rendu par la même juridiction sous peine de conférer à cet arrêt le caractère d’une règle générale ; qu’en outre, un juge ne peut fonder sa décision sur la jurisprudence sans mentionner les motifs pour lesquels il s’y réfère » (page 3).

En l’occurrence, la Chambre de recours rejette les critiques formulées par le requérant à propos de la technique d’extrapolation appliquée par le SECM en renvoyant à « la jurisprudence récente de la chambre de recours (chambre de recours, décision du 8 juin 2009, rôle n°01/05, inédit, annexe 2) » sans motiver ce renvoi, et en faisant siennes, pour le surplus, un certain nombre de considérations de la décision de première instance qu’elle cite (décision attaquée, pages 7 et 8).

La Chambre de recours a, donc, bien, en l’espèce, motivé sa décision en violation de l’article 6 du Code judiciaire (et des autres principes visés au moyen) puisqu’elle a fondé sa décision exclusivement sur une de ses décisions antérieures sans aucune justification. L’utilisation des termes « pour le surplus » ne laisse aucun doute sur le caractère superfétatoire et non déterminant des motifs complémentaires à sa décision, empruntés au premier juge.

Mieux, elle a motivé sa décision par référence à une décision qui a été cassée par Votre Conseil dans son arrêt n° 203.876 du 11 mai 2010, Daou, pour le motif notamment que la décision de la Chambre de recours ne faisait pas « ressortir en quoi les arguments invoqués par le requérant avaient été rencontrés ». Lorsque l’on sait que parmi les arguments invoqués par le requérant devant la Chambre de recours – et développés dans le recours au Conseil d’Etat – figuraient des critiques quant à la « méthode d’extrapolation » du SECM à partir d’une « sélection » de patients et que l’on constate que Votre Conseil avait cassé la décision à laquelle la Chambre de recours se réfère pour valider une « méthode d’extrapolation » était antérieur à l’adoption de la décision querellée, on mesure l’ampleur du vice de motivation affectant la décision de la Chambre de recours.

Ce troisième grief est fondé.

II.1.5.2. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-31. La partie adverse indique que la Chambre de recours n’a pas motivé sa décision uniquement par référence à l’une de ses décisions antérieures cassée par Votre Conseil, mais aussi par des considérations propres tirées des motifs de la décision de première instance qu’elle a faites siennes.

Cet élément permettrait, selon la partie adverse, de conclure que le troisième grief n’est pas fondé.

II.1.5.3. Réplique

-32. En formulant la réponse ci-dessus, la partie adverse ne répond pas à la critique développée par le requérant.

En effet, celui-ci a relevé dans sa requête que le renvoi à « la jurisprudence récente de la chambre de recours (chambre de recours, décision du 8 juin 2009, rôle n°01/05, inédit, annexe 2) » était complété par des considérations émises « Pour le surplus » par la chambre de première instance.

Le fait pour la partie adverse de relever que sa décision n’était pas motivée exclusivement, d’un point de vue formel, par référence à l’une de ses décisions antérieures n’est donc pas pertinent.

Il aurait été plus pertinent pour la partie adverse de démontrer, par exemple, que les motifs développés « Pour le surplus » étaient tout aussi déterminants pour fonder la décision de la chambre de recours sur la « validité » et le sérieux de la méthode statistique dite de « l’extrapolation ».

Encore eu-t-il fallu que la partie adverse soit en mesure de développer une telle argumentation, ce qui était impossible. En effet, ce qui a été tranché dans la décision du 8 juin 2009 de la Chambre de recours, c’est la validité de la méthode dite de « l’extrapolation » en tant que telle. Ce qui a été tranché dans cette décision c’est le principe selon lequel il est possible d’extrapoler des constatations faites sur un échantillonnage limité de patients à l’ensemble de la patientèle du praticien. Ce qui est tranché dans les motifs « Pour le surplus » de la décision entreprise, c’est le caractère bien-fondé (ou non) des arguments développés par le requérant non pas seulement à l’encontre de la méthode dite de « l’extrapolation », mais aussi des modalités de sélection des patients de l’échantillonnage.

Encore eu-t-il également fallu que la partie adverse démontre que le renvoi aux considérations émises « Pour le surplus » était pertinent. Or, les développements du quatrième grief du premier moyen de la requête démontrent que ce renvoi n’était certainement pas pertinent et violait les principes et dispositions visés au moyen (voir ci-dessous).

De même, le requérant ne trouve pas de réponse de la partie adverse à propos de la question de savoir comment la Chambre de recours peut raisonnablement motiver sa décision en renvoyant à l’une de ses décisions antérieures cassée par Votre Conseil pour le motif notamment qu’elle n’avait pas fait ressortir en quoi les arguments invoqués par le requérant à propos de la méthode d’extrapolation avaient été rencontrés.

Pour les motifs ci-dessus et ceux de la requête, il faut conclure au bien-fondé du troisième grief du premier moyen de la requête.

II.1.6. Sur le quatrième grief

II.1.6.1. Rappel du premier grief tel que développé dans la requête

-33. La Chambre de recours affirme à propos de l’argumentation présentée par le requérant en appui à sa contestation de la sélection des patients opérée par le SECM et de sa méthode d’extrapolation que : « l’appelant n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà exposés oralement par son conseil lors de l’audience de la chambre de première instance » (décision, page 8).

Cette affirmation est fausse.

Elle est d’ailleurs contredite par la Chambre de recours elle-même dans les développements qu’elle fait figurer sous le point 7 Sélection des patients – Choix de l’échantillon. Elle y fait état du rapport de l’expert statisticien consulté par le requérant et des critiques de celui-ci à propos de la manière dont le SECM a procédé à la sélection des patients servant de base à « l’extrapolation ».

Les motifs de la décision entreprise se contredisent sur un élément essentiel de la défense du requérant devant les juridictions administratives de la partie adverse. La décision entreprise viole donc l’obligation de ne pas faire reposer une décision juridictionnelle sur des motifs contradictoires (principe consacré par l’article 1136, 4° et le principe générale de l’obligation de motivation admissible, pertinente et non contradictoire).


II.1.6.2. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-34. La partie adverse indique que « la contradiction des motifs invoquée ne fait pas grief à la partie adverse dans la mesure où la Chambre de recours a effectivement répondu (p. 10 à 14 de la décision) aux remarques formulées en appel sur la sélection des patients ».

Cet élément permettrait, selon la partie adverse, de conclure que le quatrième grief n’est pas fondé.

II.1.6.3. Réplique

-35. Le requérant constate que la partie adverse reconnaît l’existence d’une contradiction dans les motifs de la décision entreprise. Cela est donc acquis.

Cette contradiction dans les motifs ne pourrait, toutefois, à suivre la partie adverse, fonder le grief parce que la Chambre de recours aurait répondu ailleurs aux remarques du requérant sur la sélection des patients de l’échantillonnage.

En présentant sa défense, la partie adverse met en évidence une nouvelle contradiction dans les motifs de la décision querellée. Cette contradiction concernerait, de l’aveu même de la partie adverse, le passage en page 8 de la décision entreprise aux termes duquel « L’appelant n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà exposés oralement par son conseil lors de l’audience de la chambre de première instance » à propos du choix de l’échantillon de patients par le SECM, et les pages 10 à 14 de la décision.

La partie adverse confirme, ce faisant, l’existence d’un vice général de motivation et une contradiction dans les motifs qui affecte la décision entreprise dans son ensemble. On y trouve tout et son contraire, ce qui ne semble pas déranger la partie adverse qui semble trouver normal qu’un justiciable soit contraint de faire du « shopping » dans les motifs de la décision de la Chambre de recours pour lui donner du sens et de la cohérence, et surtout comprendre les raisons de sa condamnation. Cela va à l’encontre de l’ensemble des principes et dispositions visés au moyen.

Pour les motifs ci-dessus et ceux de la requête, il faut conclure au bien-fondé du troisième grief du premier moyen de la requête.


II.1.7. Sur le cinquième grief

II.1.7.1. Rappel du cinquième grief tel que développé dans la requête

-36. Dans son arrêt du 22 janvier 1992 (Pas., 1992, I, p.441), la Cour de Cassation a jugé que, pour autant qu’elle ait réellement examiné les questions qui lui ont été soumises et qu’elle ne se soit pas contentée d’entériner purement et simplement les conclusions de la juridiction inférieure, une juridiction d’appel, en l’absence de conclusions écrites ou d’autres écrits motivés des parties, a pu valablement motiver sa décision en s’appropriant les motifs de la décision entreprise qu’elle confirme.

En l’espèce, il ne ressort pas des motifs de la décision entreprise que la Chambre de recours a effectivement examiné l’argumentation du requérant sur la question de la prise en considération de cas prescrits dans l’échantillonnage. Le fait d’affirmer que « L’appelant estime que la chambre de première instance « commet une erreur lorsqu’elle admet que des prestations prescrites soient incorporées dans l’échantillon destiné à calculer le coefficient d’extrapolation » ne suffit pas à démontrer que la Chambre de recours a effectivement pris en considération l’argumentation du requérant. Cette affirmation ne permet pas non plus de comprendre la raison pour laquelle la Chambre de recours a estimé que les critiques que le requérant faisait valoir dans ses conclusions, notamment à l’encontre des motifs de la décision de première instance qu’elle reprend, n’étaient, à son estime, pas fondées.

II.1.7.2. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-37. La partie adverse dit constater que la Chambre de recours a répondu à la problématique de l’incorporation des cas prescrits dans l’échantillon au point 8 (page 14) de sa décision et que, ce faisant, elle ne s’est pas limitée à reproduire l’argumentation de la décision de la Chambre de première instance.

Cet élément permettrait, selon la partie adverse, de conclure que le cinquième grief n’est pas fondé.

II.1.7.3. Réplique

-38. L’argumentation de la partie adverse n’est pas convaincante.

Les motifs propres de la décision querellée du point 8 de la page 14 ne sont rien d’autre que des commentaires du passage repris de la décision de première instance ou des considérations supplémentaires qui n’ont pu être émises que parce que la Chambre de recours a d’abord décidé de renvoyer, sans se poser de question, à la décision de première instance.

C’est le cas des deux derniers alinéas du point 8 de la page 14. On y lit, en effet, des justifications a posteriori de l’affirmation reprise dans la décision de première instance selon laquelle des prestations prescrites pouvaient être prises en considération dans l’échantillonnage, et non pas des éléments permettant d’asseoir la conclusion selon laquelle des prestations prescrites pouvaient être prises en considération dans l’échantillonnage.

En outre, la partie adverse ne répond pas dans son mémoire en réponse à la critique selon laquelle la lecture des motifs de la décision entreprise ne permet pas de comprendre la raison pour laquelle la Chambre de recours a estimé que les critiques que le requérant faisait valoir dans ses conclusions, notamment à l’encontre des motifs de la décision de première instance qu’elle reprend, n’étaient, à son estime, pas fondée.

Elle ne met, d’ailleurs, pas en cause la réalité de cette affirmation contenue dans la requête, laquelle doit donc être retenue comme correspondant à la réalité.

Pour les motifs ci-dessus et ceux de la requête, il faut conclure au bien-fondé du cinquième grief du premier moyen de la requête.

II.2. Deuxième moyen

II.2.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-39. Le requérant prend un deuxième moyen de la violation de l’article 149 de la Constitution, de la violation de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles, des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire, de l’erreur de droit et de fait, de la violation des articles 1349 et 1353 du Code civil, des articles 73 et 142 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, ainsi que de l’erreur de droit et de fait.

En ce que la Chambre de recours a mis les griefs à charge du requérant sur la base d’une présomption « de l’homme » au terme du raisonnement suivant :

« Lorsque, comme en l’espèce, la Commission des profils des praticiens de l’art dentaire signale un profil élevé en hausse constante, avec un nombre élevé de grandes restaurations de couronnes et un nombre faible de radiographies, il y a présomption au sens des articles 1349 et 1353 du Code civil que l’ensemble des attestations de soins donnés sont entachées d’erreurs et ne correspondent pas à la réalité.

Il ne peut en aller autrement dès lors que le législateur a fait confiance aux dispensateurs de soins dont les attestations sont censées être exactes et refléter la réalité ».

Alors que les articles 1349 et 1353 du Code civil ne permettent pas d’établir une présomption à partir d’un seul élément et que la prémisse du raisonnement de la Chambre de recours est fausse en droit comme en fait, avec la conséquence que les articles 73, 73bis, 139, 141, 144 et 145 de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités sont violés.

II.2.2. Développement du moyen tel qu’il figure dans la requête

-40. L’article 1349 du Code civil prévoit que « Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ».

L’article 1353 du Code civil prévoit que « Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ».

En l’espèce, la Chambre de recours a mis les griefs à charge du requérant sur la base d’une présomption « de l’homme » au terme du raisonnement suivant :

« Lorsque, comme en l’espèce, la Commission des profils des praticiens de l’art dentaire signale un profil élevé en hausse constante, avec un nombre élevé de grandes restaurations de couronnes et un nombre faible de radiographies, il y a présomption au sens des articles 1349 et 1353 du Code civil que l’ensemble des attestations de soins donnés sont entachées d’erreurs et ne correspondent pas à la réalité.

Il ne peut en aller autrement dès lors que le législateur a fait confiance aux dispensateurs de soins dont les attestations sont censées être exactes et refléter la réalité ».

La présomption est, donc, en l’espèce établie à partir d’un seul élément (l’existence d’un profil atypique) et non pas à partir de plusieurs éléments concordants. La Chambre de recours a, pour ce premier motif, violé les dispositions visées au moyen. Elle a établi une présomption alors que les conditions légales pour l’établir n’étaient manifestement pas réunies.

-41. En outre, la Chambre de recours a tiré des conséquences totalement erronées en droit du fait connu (le profil atypique) à partir duquel elle établit un fait inconnu (le caractère erroné de l’ensemble des attestations de soins donnés).

Il n’y a, en réalité, aucun lien juridique possible entre le fait connu et le fait inconnu déduit. Le raisonnement de la Chambre de recours se fonde sur une erreur de droit.

La démonstration est faite ci-après.

-41.1. Le requérant a été attrait par le SECM devant la Chambre de première instance pour avoir porté en compte des prestations non conformes à la nomenclature ou non effectuées (article 73bis, 1° et 2°) (requête, page 1) :

« Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM), agissant dans le cadre de l’article 139, alinéa 2, 6°, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 et conformément à l’article 3 de l’arrêté royal du 9 mai 2008, estime que, sur base du dossier soumis à votre instance, Monsieur A Wahad a porté en compte à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités des prestations non-conformes à la nomenclature des soins de santé et/ou des prestations non effectuées (article 141, § 5, al. 4 a et/ou b, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 tel qu’il était en vigueur avant le 15 mai 2007) ».

L’article 139, alinéa 2, 6°, de la loi coordonnée du 14 juillet 1996 prévoit que :

« Il est institué au sein de l’Institut un Service d’évaluation et de contrôle médicaux, composé d’un service central, de dix services provinciaux et d’un service bilingue pour la Région de Bruxelles-Capitale.

(…)

Il est chargé :

(…)

6° de saisir les chambres de première instance des contestations avec les dispensateurs de soins sur l’application de l’article 73bis, sous réserve de la compétence attribuée au fonctionnaire-dirigeant en vertu de l’article 143 ».

L’article 3 de l’arrêté royal du 9 mai 2008 prévoit que :

« Les Chambres de première instance et les Chambres de recours sont saisies des contestations visées à l’article 144, §§ 2 et 3 de la loi coordonnée par une requête envoyée par pli recommandé à la poste ou déposée au greffe contre récépissé, à l’attention du président ».

L’article 144, §§ 2 et 3, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 prévoit que :

« § 2. Les Chambres de première instance ont une compétence de pleine juridiction pour connaître :

1° des infractions aux dispositions de l’article 73bis, sous réserve des infractions qui relèvent de la compétence du fonctionnaire-dirigeant comme mentionné à l’article 143

(…)

§ 3. Les Chambres de recours ont une compétence de pleine juridiction pour :

1° les recours contre les décisions des Chambres de première instance ».

L’article 73bis de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 (dans la version qui était en vigueur à l’époque) prévoit que :

« Sans préjudice d’éventuelles poursuites pénales et/ou disciplinaires et nonobstant les dispositions des conventions ou des accords visés au Titre III, il est interdit aux dispensateurs de soins et assimilés, sous peine des mesures énoncées à l’article 142, § 1er :

1° de rédiger, faire rédiger, délivrer ou faire délivrer des documents réglementaires visés dans la présente loi ou ses arrêtes exécution lorsque les prestations n’ont pas été effectuées ou fournies;

2° de rédiger, faire rédiger, délivrer ou faire délivrer les documents réglementaires précités lorsque les prestations ne satisfont pas aux conditions prévues dans la présente loi, ses arrêtés d’exécution ou les conventions ou accords conclus en vertu de cette même loi ».

La lecture combinée des dispositions ci-dessus, confirme que le requérant été attrait par le SECM devant la Chambre de première instance pour avoir porté en compte des prestations non conformes à la nomenclature ou non effectuées (article 73bis, 1° et 2°) et non pas pour avoir exécuté des prestations superflues ou inutilement onéreuses au sens de l’article 73 (article 73bis, 4°).

On en veut pour preuve complémentaire le fait que, dans sa requête, le SECM sollicite que le requérant soit condamné au remboursement de prestations indues et à des amendes administratives en exécution de l’article 141, § 4, alinéa 4 a) et b) et 145, § 5, alinéa 5, de la loi du 14 juillet 1994, tels qu’ils étaient en vigueur au moment des faits.

L’article 145, § 5, alinéas 4 et 5 était rédigé comme suit :

« Après avoir pris connaissance du rapport des auditeurs, le Comité peut infliger des amendes administratives selon les modalités suivantes :

a) lorsqu’un dispensateur de soins a porté en compte à l’assurance soins de santé des prestations non effectuées, le Comité peut lui infliger une amende administrative égale au minimum à 50 % et au maximum à 200 % de la valeur des prestations indues;

b) lorsque les prestations portées en compte ne sont pas conformes à la présente loi ou à ses arrêtés d’exécution, l’amende peut être égale au minimum à 1 % et au maximum à 150 % de la valeur des prestations concernées;

c) lorsque, à plusieurs reprises, et après avertissement, le dispensateur n’a pas rédigé les documents administratifs ou médicaux conformément aux règles de la présente loi ou de ses arrêtés d’exécution, l’amende peut être de 10 euros a 125 euros par document incorrect. Elle ne peut être prononcée à charge du médecin qui fait l’objet, pour le même fait, d’une mesure énoncée à l’article 77bis.

Le dispensateur est également tenu de rembourser la valeur des prestations concernées dans les cas visés aux points a) et b) précités ».

On en veut pour preuve ultime le fait que tant la Chambre de première instance que la Chambre de recours ont condamné le requérant, conformément à leur saisine, pour prestations non conformes ou non effectuées, renvoyant aux griefs formulés dans la requête du SCECM (lesquels sont fondés sur l’article 145, § 5, alinéas 4 et 5).

-41.2. Or, le point de départ de la présomption établie par la Chambre de recours ne présente aucun lien avec une quelconque portée en compte de prestations non conformes ou non effectuées.

Le point de départ de la présomption établie par la Chambre de recours est l’article 73 de la loi du 14 juillet 1994 (décision, page 4).

Pour ce qui nous intéresse, l’article 73 de la loi du 14 juillet 1994 (dans la version qui était applicable au moment des faits), prévoit que :

« § 1er. Le médecin et le praticien de l’art dentaire apprécient en conscience et en toute liberté les soins dispensés aux patients. Ils veilleront à dispenser des soins médicaux avec dévouement et compétence dans l’intérêt et dans le respect des droits du patient et en tenant compte des moyens globaux mis à leur disposition par la société.

Ils s’abstiennent de prescrire, d’exécuter ou de faire exécuter des prestations superflues ou inutilement onéreuses à charge du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

Les dispensateurs de soins autres que ceux visés à l’alinéa 1er s’abstiennent également d’exécuter ou de faire exécuter des prestations inutilement onéreuses ou superflues à charge du régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

§ 2. Le caractère inutilement onéreux ou superflu de ces prestations s’évalue selon la procédure prévue à l’article 141, § 2, sur base d’un ou de plusieurs indicateurs de déviation manifeste définis par le Conseil national de la promotion de la qualité par rapport à des recommandations de bonne pratique médicale ».

L’article 141, § 2, de la loi du 14 juillet 1994 (dans la version qui était applicable au moment des faits), prévoit que :

« La mission visée à l’article 139, alinéa 2, 2°, a) et b), est réglée selon les alinéas suivants :

Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux recueille à l’initiative des organismes assureurs ou de sa propre initiative les données relatives aux prestations concernées par les indicateurs visés à l’article 73, § 2;

Le Service informe le Comité au sujet des dépassements constatés, ainsi que du nombre et des spécificités des dispensateurs concernés.

Le Service invite ces dispensateurs à se justifier par écrit dans un délai de deux mois. Le Service les informe aussi qu’ils peuvent demander à être entendus pendant ce délai par un médecin-inspecteur.

Après examen des explications reçues, le Service propose au Comité, selon le cas, soit de lui adresser un satisfecit, soit d’approfondir l’analyse en plaçant la totalité de la pratique sous monitoring. Les décisions du Comité sont notifiées au dispensateur.

Le monitoring consiste en une évaluation de la pratique de prescription et d’exécution d’un dispensateur sur base d’indicateurs visés à l’article 73, § 2, ou à défaut, par comparaison avec la pratique dans des circonstances similaires de dispensateurs normalement prudents et diligents.

Le placement sous monitoring a lieu pour une durée minimale de six mois. La notification de cette mesure en précise la date de début.

Si à l’expiration de cette période de monitoring, la pratique du dispensateur ne montre pas d’adaptation ou une adaptation insuffisante vers la concordance avec une bonne pratique médicale, le Service l’invite à fournir ses explications par écrit dans un délai de deux mois après la date de la demande.

Les justifications reçues sont présentées au Comité par le Service. Si elles sont acceptées, le Comité adresse un satisfecit au dispensateur.

En l’absence de justification suffisante, le Comité désigne en son sein deux auditeurs médecins, l’un représentant le corps médical et l’autre les organismes assureurs, chargés d’entendre l’intéressé s’il le souhaite, endéans les deux mois et de faire rapport au Comité. A défaut d’accord au sein du Comité, le Président désigne les auditeurs.

Le dispensateur est entendu, à sa demande, assisté des personnes de son choix. Le fonctionnaire dirigeant du Service d’évaluation et de contrôle médicaux désigne les agents chargés d’assurer le secrétariat et l’organisation de l’audition du dispensateur.

Après avoir pris connaissance du rapport des auditeurs, le Comité peut infliger une amende administrative égale au minimum à 1.000 euros et au maximum à 5.000 euros.

Toutefois, pour le dispensateur poursuivi sur base de l’article 73, § 2, alinéa 2, les avantages en matière d’accréditation peuvent être réduits ou retirés pour une période déterminée et à défaut, s’il n’est pas accrédité, le Comité peut lui infliger une amende administrative de 1.000 euro à 5.000 euro ».

L’article 73 de la loi du 14 juillet 1994 vise l’hypothèse de la surprescription ou de la surconsommation de soins de santé, hypothèse fondamentalement distincte de celle des prestations non conformes ou non effectuées.

-41.3. Ni l’article 73 de la loi du 14 juillet 1994, ni aucune des autres dispositions citées plus haut n’établissent de lien (direct ou indirect) entre surconsommation ou surprescription de soins de santé et portée en compte de prestations non conformes non effectuées.

Des prestations inutilement onéreuses ou superflues sont, par exemple, la facturation d’une même prestation effectivement réalisée, mais dont la multiplication n’était pas médicalement justifiée. Dans un tel cas, il n’y aura aucune prestation non réalisée ou non conforme.

Des prestations non réalisées ou non conformes sont des prestations qui sont attestées et portées en compte, mais qui soit n’ont jamais été effectuées, soit ne reflètent pas la prestation effectivement réalisée (par exemple, la facturation d’une reconstruction alors qu’une obturation est réalisée).

La présomption établie par la Chambre de recours est dont totalement irrégulière puisqu’elle tire des conséquences d’une surconsommation (qui n’en est pas une d’ailleurs) sur la réalité et la conformité de soins portés en compte alors que ces deux problématiques sont totalement distinctes en droit et en fait.

L’absence de lien juridique entre ces deux notions a été démontrée ci-dessus.

L’absence de lien factuel entre ces deux notions résulte de ce que des prestations inutilement onéreuses ou superflues peuvent bien évidemment avoir été régulièrement réalisées et attestées.

Ceci démontre à suffisance que la décision querellée viole les dispositions visées au moyen. Elle a établi une présomption de manière irrégulière en droit et en fait. Elle pêche, en outre, par son manque de motivation et la contradiction intrinsèque dans ses motifs, laquelle est liée à la confusion opérée par la Chambre de recours entre deux notions ne présentant aucun lien juridique ou factuel médiat ou immédiat.

Cette erreur de la Chambre de recours n’est pas sans incidence puisqu’elle se situe dans les motifs déterminants de la décision entreprise.

-41.4. On ajoutera à l’ensemble de ce qui précède que la présomption établie par la Chambre de recours repose sur un élément de fait et de droit inexact. Le requérant ne s’est jamais vu reprocher par quiconque le caractère inutilement onéreux ou superflu de ses prestations.

Le SECM a été saisi du dossier du requérant par la Commission des profils des praticiens de l’art dentaire qui n’a pas pour mission de rendre des avis en matière de surconsommation ou de surprescription – en tout cas dans le cadre de la procédure qui a mené à la décision ici en cause. La procédure ad hoc dans l’hypothèse d’une surconsommation ou surfacturation est fixée dans l’article 142, § 2, précité.

Le raisonnement posé dans le point B de la décision de la Chambre de recours repose donc sur une prémisse factuelle inexacte dont des conséquences juridiques tout aussi inexactes sont tirées.

Autrement exprimé encore, il n’y a aucun lien entre l’article 73 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 cité dans la décision entreprise et les considérations factuelles et juridiques qui en sont immédiatement déduites.

Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, le deuxième moyen est fondé.


II.2.3. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

II.2.3.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-42. La partie adverse prétend que le deuxième moyen ne serait pas recevable en ce qu’il est pris de l’erreur de fait et de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 145, § 6, de la loi ASSI et l’article 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 excluraient que l’article 780, 3° du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce en raison de leur caractère supplétif. Ces dispositions ne se concilieraient pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

L’article 156, § 2, alinéa 2 de la loi ASSI et l’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat exclurait que l’article 1138, 4°, du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce pour le motif que « A l’inverse d’un pourvoi en cassation sur pied de l’article 1138, 4° du Code judiciaire, le Conseil d’Etat, juge en cassation administrative, ne peut connaître que des moyens pris de la contravention de la loi ou de la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité ».

-43. Elle soutient enfin que la Chambre de recours a valablement motivé sa décision au regard des exigences de motivation formelle de l’article 149 de la Constitution. Afin d’apporter la preuve du bien-fondé de son affirmation, elle rappelle en citant de la jurisprudence que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est étrangère à la valeur ou à la pertinence des motifs d’une décision juridictionnelle, ne permet pas de sanctionner une réponse incomplète donnée par les juges d’appel, ne permet pas de sanctionner une erreur de droit ou de fait dans un motif d’une décision juridictionnelle, et n’exigerait pas que le juge réponde un à un à tous les arguments de la partie requérante. Elle rappelle également qu’il suffit, pour constater l’absence de violation de cette disposition constitutionnelle, qu’il ressorte de l’ensemble de la décision juridictionnelle les raisons pour lesquelles la demande, l’exception, la défense ou le moyen ont été rejetés.

II.2.3.2. Argumentation à subsidiaire de la partie adverse

-44. La partie adverse soutient que le requérant serait sans intérêt à se prévaloir de la violation des articles 73 et 142 de la loi ASSI dans la mesure où ces dispositions sont étrangères au litige soumis à la Chambre de recours et ne sauraient, partant, lui faire grief.

Elle observe en appui à cette affirmation que la Chambre de première instance a été saisie en application de l’article 141 de la loi ASSI telle qu’en vigueur avant le 15 mai 2007 et que la requête saisissant la Chambre de première instance n’avait pas pour objet une condamnation du requérant sur pied des articles 73 et 142 de la loi ASSI.

-45. En réponse à l’argumentation du requérant selon laquelle les articles 1349 et 1359 du Code civil auraient été violés pour le motif que la Chambre de recours a mis les griefs à charge du requérant sur la base d’une « présomption de l’homme » établie à partir d’un seul élément, la partie adverse répond, après avoir cité un extrait de la page 4 de la décision entreprise que : « La décision de la Chambre de recours, prise dans son ensemble, indique bien que la juridiction administrative ne s’est pas contentée d’une « présomption de l’homme » mais (qu’) elle a bien pris en compte l’ensemble des éléments et pièces du dossier d’enquête ».

II.2.4. Réplique

II.2.4.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-46. L’article 780, 3°, du Code judiciaire prévoit que :

« Le jugement contient, à peine de nullité, outre les motifs et le dispositif:

(…)

3° l’objet de la demande et la réponse aux conclusions ou moyens des parties »

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

Cette position de la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 780, 3°, du Code judiciaire.

-47. L’article 1138, 4°, du Code judiciaire prévoit que :

« Il n’y a pas d’ouverture de requête civile, mais seulement, et contre les décisions rendues en dernier ressort, possibilité de pourvoi en cassation pour contravention à la loi :

(…)

4° si dans un jugement il y a des dispositions contraires ».

Cette disposition énonce le principe selon lequel des dispositions contraires dans un jugement peuvent donner lieu à pourvoi en cassation, et donc à cassation.

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure en cassation devant le Conseil d’Etat.

L’article 156, § 2, de la loi ASSI qui prévoit que les décisions de la Chambre de recours peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat n’est certainement pas inconciliable avec l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat ne l’est pas non plus, bien au contraire puisque ce que le requérant invoque dans le volet de son moyen ici discuté est une violation de la loi, soit de l’article 1138, 4°, du Code judiciaire qui pose le principe que les jugements ne peuvent pas contenir des dispositions contraires.

L’exception soulevée par la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

-48. Le requérant connaît la portée de l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution. Il sait que cette obligation est de pure forme.

Ce n’est toutefois pas parce que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est de pure forme, qu’elle ne peut pas avoir été violée par la Chambre d’appel. En effet, une décision juridictionnelle est motivée au sens de l’article 149 de la Constitution lorsque le juge indique clairement et sans équivoque les raisons, fussent-elles erronées et illégales, qui l’ont déterminé à statuer comme il l’a fait (C.E., n° 193.340 du 15 mai 2009, Pereira de Magalhaes cité en note (8) de la page 1473 par J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, dans l’ouvrage suivant : Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une contradiction dans les motifs est une cause de violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass., 26 avril 2010, C.09.0485.F disponible sur Juridat sous la référence F-20100426-5). De même, selon la Cour de cassation, laisser sans réponse une défense précise et circonstanciée qui invoquait des éléments objectifs vérifiables est également constitutif d’une violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass, 29 juin 2000, C.980512-F disponible sur Juridat sous la référence F-20000629-5).

Seul l’examen du moyen au fond permettra à Votre Conseil de conclure à sa recevabilité ou son irrecevabilité en ce qu’il est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.

Le requérant ajoutera à ce qui précède qu’il ne s’est pas contenté d’invoquer la violation de l’article 149 de la Constitution dans le premier moyen de sa requête, mais qu’il a invoqué parallèlement la violation de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles.

La partie adverse ne dit pas un mot de la violation de ce principe général. Elle ne prend même pas la peine de le citer dans le résumé du moyen qu’elle fait en page 8 de son mémoire en réponse.

Or, ce principe fonde l’obligation générale de motivation « qualitative » des juridictions administratives.

Selon la doctrine (fondée sur la jurisprudence de Votre Conseil notamment), en effet, « Même en l’absence d’un texte particulier le prescrivant expressément, les juridictions administratives ont l’obligation de motiver leurs décisions. Cette obligation de forme est inséparable de tout acte de juridiction et revêt un caractère substantiel. Elle permet au justiciable, comme au Conseil d’Etat, de s’assurer que le juge a appliqué les règles de procédure, qu’il a examiné les éléments du dossier et répondu aux moyens qui lui ont été présentés. Bref, la motivation est le soutènement du dispositif » (J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, n° 593, pp. 1470 et 1471).

Selon les auteurs précités, les conditions auxquelles doit satisfaire la motivation des décisions juridictionnelles sur un plan qualitatif sont les suivantes : motivation suffisante (point 593.2.1), motivation admissible (593.2.2), motivation claire (593.2.3), motivation non contradictoire (593.2.4), réponse aux moyens et aux demandes (593.2.5), égard aux devoirs prescrits (593.2.6), égard aux offres de preuves, aux demandes d’enquêtes ou à d’autres mesures sollicitées (593.2.7) et motivation de la décision d’une juridiction administrative d’appel (593.2.8).

Pour les raisons ci-dessus, le moyen est recevable en ce compris en ce qu’il est pris de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire, et de l’article 149 de la Constitution.


II.2.4.2. Argumentation à titre subsidiaire de la partie adverse

-49. Si le requérant vise les articles 73 et 142 de la loi ASSI dans son moyen, c’est pour les raisons longuement exposées dans sa requête, résumées comme suit : la Chambre de recours a fait une mauvaise interprétation de l’article 73 de la loi ASSI (et de l’article 142 par voie de conséquence), ce qui l’a conduite à établir un lien erroné entre surconsommation ou surprescription de soins de santé et portée en compte de prestations non conformes.

Or, c’est à partir de ce lien erroné que la Chambre de recours fonde la « présomption de l’homme » que « les développements repris au point C ne font que confirmer ».

Il est intéressant de relever d’emblée que la partie adverse ne conteste pas que les articles 73 et 142 de la loi ASSI présentent un lien direct avec la procédure diligentée par le SECM à l’encontre du requérant, laquelle procédure a mené à l’adoption de la décision querellée dans le présent recours.

On lit en effet ceci dans le mémoire en réponse de la partie adverse : « Si la référence aux articles 73 et 142 de la loi AISS coordonnée paraît « inappropriée » ou inadéquates (…) il n’en reste pas moins que l’origine de l’enquête était bel et bien liée à une communication de la Commission des profils signalant un profil élevé en hausse constante dans le chef de Mr A, avec un nombre élevé de grandes restaurations de couronnes et un faible nombre de radiographies dentaires attestées ».

Il est également intéressant de relever d’emblée que le point B « Portée de la loi – Application en l’espèce » de la décision entreprise débute comme suit : « Dans sa version applicable aux faits, l’article 73 de la loi ASSI énonce (…) ».

On ne comprend, donc, pas pourquoi la partie adverse soutient d’emblée et sans aucunement étayer son point de vue, que le requérant serait « sans intérêt à se prévaloir d’une violation des articles 73 et 142 de la loi ASSI coordonnée dans la mesure où ces dispositions sont étrangères au litige soumis à la Chambre de recours et, partant, ne sauraient lui faire grief ».

Si les articles 73 et 142 de la loi ASSI avaient dû rester en dehors du litige, force est de constater que tel n’a pas été le cas puisque la Chambre de recours a, elle-même, fait entrer ces dispositions dans le cadre de sa réflexion et en a déduit une présomption à charge du requérant.

Le requérant a donc intérêt à se prévaloir de la violation des articles 73 et 142 de la loi ASSI dans son deuxième moyen.

-50. Le requérant a d’autant plus intérêt à se prévaloir de la violation de l’article 73 de la loi ASSI que c’est à partir de cette seule disposition que la Chambre de recours a fondé la présomption critiquée dans le deuxième moyen.

La partie adverse ne le conteste pas.

Elle ne conteste pas non plus qu’en établissant la présomption litigieuse, la Chambre de recours a tiré des conséquences totalement erronées en droit du seul fait connu (le profil atypique) à partir duquel elle établit un fait inconnu (le caractère erroné de l’ensemble des attestations de soins donnés).

Elle ne conteste pas plus qu’il n’y a aucun lien juridique possible entre le seul fait connu et le fait inconnu déduit.

Elle se limite à indiquer que « la Chambre de recours a souligné que la présomption au sens des articles 1349 et 1353 du Code civil, liée à la communication faite par la Commission des profils pouvait être renversée ».

Ce disant, elle esquive la question qui est au cœur du présent moyen à savoir que la Chambre de recours a établi une présomption alors que les conditions légales pour l’établir n’étaient pas réunies.

En effet, affirmer qu’une présomption peut être renversée implique d’abord qu’une telle présomption ait été établie régulièrement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce pour deux motifs : elle a été établie à partir d’un seul fait et ce fait ne présente aucun lien avec la nature de la présomption établie.

Pour les motifs ci-dessus et ceux de la requête, il faut conclure au bien-fondé du deuxième moyen de la requête.

II.3. troisième moyen

II.3.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-51. Le requérant prend un troisième moyen de la violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, de la violation, du principe général de droit de l’impartialité et de la présomption d’innocence, de la violation de l’article 149 de la Constitution, de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire ainsi que de l’erreur et de la contradiction dans les motifs.

En ce que la décision querellée trahit à plusieurs reprises au travers ses motifs ou ses carences, la partialité ou le parti pris de la Chambre de recours à l’encontre du requérant.

Alors que les juridictions administratives doivent juger de manière indépendante et impartiale toutes les causes qui leur sont dévolues sous peine de violer les dispositions visées au moyen.

II.3.2. Développement du moyen tel qu’exposé dans la requête

-52. La Chambre de recours instituée auprès du SECM de l’INAMI est une juridiction administrative tenue au respect du principe d’impartialité et au respect de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’article 6, § 1er, alinéa 1er, prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle »

L’impartialité du tribunal doit être objective et subjective. En l’occurrence, le requérant met l’impartialité subjective de la Chambre d’appel en cause. Il prétend que sa cause n’a pas été entendue équitablement par une Chambre de recours impartiale, mais de manière inéquitable par une Chambre de recours qui lui était ouvertement défavorable.

-53. Le requérant prend pour preuve de la partialité subjective de la Chambre de recours à son égard les passages suivants de la décision querellée :

Décision, page 5 :

« L’appelant invoque, sans fondement, de prétendues intimidations ou des abus de pouvoir commis à son égard par le médecin-inspecteur en charge de l’enquête.

Il s’agit là d’une présentation des faits non conforme à la réalité.

Par contre, il convient de relever que le médecin-inspecteur a dû composer avec un dispensateur de soins « récalcitrant » et peu enclin à collaborer à l’enquête ».

Il était, bien évidemment, permis à la Chambre de recours de considérer que les arguments du requérant mettant en cause la manière dont l’enquête avait été diligentée par le SECM à son encontre, n’étaient pas fondés.

Encore convenait-il qu’elle le fasse sans laisser transparaitre son hostilité envers le requérant et sans lui reprocher la manière dont il a exercé ses droits de la défense (en l’occurrence la manière dont il a exercé son droit au silence).

Décision, page 10 :

« Dans le cas de l’appelant, un examen dentaire contradictoire aurait dû être sollicité, le cas échéant, au cours de l’enquête.

Mais cet examen dentaire contradictoire aurait très certainement été impossible à organiser vu les difficultés rencontrées pour entendre l’intéressé.

En outre, l’appelant n’a jamais pris la peine de collaborer, un tant soit peu, à la procédure d’instruction du dossier, tant lors de l’enquête que devant la chambre de 1ère instance.

Lors de la procédure initiée devant la chambre de 1ère instance, l’appelant n’a pas transmis ses moyens de défense, alors qu’il en eu la possibilité à deux reprises, et n’a pas comparu personnellement à l’audience.

Les conclusions de l’appelant indiquent d’ailleurs, en remarque préliminaire, qu’il ne s’est « quasiment pas défendu », « n’a déposé ni pièces ni conclusions » et « sa défense à l’audience, par l’intermédiaire de son conseil, fut donc exclusivement orale ».

En tout état de cause, la demande d’un examen dentaire contradictoire apparaît irrecevable aujourd’hui car tardive et impraticable.

En effet, cette demande supposerait que les patients de l’appelant acceptent, au préalable d’être soumis à un examen dentaire contradictoire.

Elle supposerait également, pour être fiable, que leur état de santé dentaire n’ait pas évolué ; or, il est fort probable que les patients ont subi d’autres soins dentaires depuis la clôture de l’enquête du SECM et il ne peut être exclu, par ailleurs, que ces nouveaux soins dentaires aient été réalisés chez un autre dentiste que l’appelant.

Vouloir en 2010 vérifier l’état dentaire d’assurés observés en 2007 relativement à des prestations de 2006, ne permettrait aucune conclusion univoque ».

Il était bien évidemment permis à la Chambre de recours de considérer que la demande d’examen dentaire contradictoire n’était pas fondée – encore que le requérant n’aperçoive pas comment une telle conclusion pourrait être régulièrement posée.

Il ne lui était, par contre, pas permis d’aboutir à une telle conclusion pour les motifs qu’elle a énoncés et qui démontrent clairement sa partialité à l’égard du requérant. Il ne peut être admis d’un tribunal impartial qu’il présume, pour déclarer une demande non fondée, que le requérant aurait – si la proposition lui avait été faite en cours d’enquête – refusé de participer à un examen dentaire contradictoire des 30 cas examinés par le SECM. De même, il ne peut être admis d’une juridiction impartiale qu’elle refuse de faire droit à une demande d’une partie en raison de la manière dont elle a, par le passé, exercé ses droits de la défense.

En ce faisant, la Chambre de recours a clairement manifesté son hostilité envers le requérant. Elle n’a pas rejeté une de ses demandes parce que, de son point de vue, elle n’était pas fondée en droit.

Elle l’a rejetée pour des motifs étrangers au droit, tenant à l’attitude et à la personne du requérant. Ce faisant, elle a fait montre de partialité subjective à son égard.

Les deux passages précités de la décision querellée démontrent que la Chambre de recours avait un parti-pris négatif à l’égard du requérant et qu’elle n’a pu s’en départir lorsqu’il s’est agi d’examiner et de trancher la contestation qui était portée devant elle. Son manque d’impartialité subjective est ainsi démontré.

-54. Le requérant voit également la preuve d’un manque d’impartialité subjective de la Chambre de recours à son égard dans le fait que des pans entiers des conclusions du SECM sont reproduits – en ce compris la ponctuation et les erreurs de dactylographie – dans la décision entreprise et le fait qu’il n’a jamais été statué par la Chambre de recours sur sa demande de désignation d’expert.

Si le constat de la reproduction de pans entiers des conclusions du SECM n’est pas, à lui seul, suffisant pour apporter la preuve d’une partialité subjective à l’égard du requérant, il l’est certainement lorsqu’on le met en perspective avec les éléments exposés ci-dessus (points -52 et 53).

Le requérant trouve également un indice du manque d’impartialité subjective de la Chambre de recours à son égard dans le fait que l’on ne trouve aucune réponse dans la décision querellée à des arguments soulevés par le requérant à propos desquels le SECM n’a pas déposé de conclusions. On pense tout particulièrement ici au fait que l’on ne trouve aucune réponse aux critiques motivées de la « méthode d’extrapolation » du SECM figurant dans les conclusions additionnelles du requérant auxquelles le SECM n’a pas répondu.

Il trouve également un indice du manque d’impartialité subjective de la Chambre de recours à son égard dans le fait qu’elle n’a pas pris la peine de trancher la demande d’expertise contradictoire qui lui a pourtant été soumise peu de temps après sa saisine par le requérant.

Comment expliquer le peu de cas fait par la Chambre de recours d’une demande d’expertise formulée par le requérant et dont il prétendait – et prétend encore – qu’elle était directement utile à sa défense, si ce n’est par un manque d’impartialité à son égard ?

Cette attitude de la Chambre de recours s’explique d’autant plus par un manque d’impartialité à l’égard du requérant qu’elle a longuement traité, dans ses motifs, de la question à propos de laquelle une expertise était demandée : les conditions dans lesquelles une extrapolation peut raisonnablement fonder un grief de la nature de ceux reprochés au requérant.

-55. L’article 6, paragraphe 2, prévoit que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

Les développements qui figurent ci-dessus à propos du manque d’impartialité de la Chambre de recours valent mutatis mutandis s’agissant d’apporter la preuve de ce que le requérant n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence.

Le passage suivant de la décision querellée est, en outre, tout particulièrement exemplatif du caractère fondé du grief (décision, page 4) :

« B. Portée de la loi – Application en l’espèce

(…)

Lorsque, comme en l’espèce, la Commission des profils des praticiens de l’art dentaire signale un profil élevé en hausse constante, avec un nombre élevé de grandes restaurations de couronnes et un nombre faible de radiographies, il y a présomption au sens des articles 1349 et 1353 du Code civil que l’ensemble des attestations de soins données sont entachées d’erreurs et ne correspondent pas à la réalité.

Il ne peut en aller autrement dès lors que le législateur a fait confiance aux dispensateurs de soins dont les attestations sont censées être exactes et refléter la réalité.

Certes, dans un tel système, le dispensateur de soins, même en présence d’un profil anormalement élevé, peut renverser la présomption en apportant la preuve qu’il a bien donné les soins attestés ; encore faut-il, pour ce faire, qu’il se conforme aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire et que, sans réticence, de bonne foi, il fournisse des preuves permettant de renverser la présomption de la loi.

Force est de constater que l’appelant n’a pas agi de la sorte ; pour justifier son profil anormal, il s’est borné à déclarer qu’il soignait une population pauvre et immigrée ; c’est évidemment insuffisant dès lors que, dès le début de l’enquête, il pouvait fournir notamment les agendas, les fiches relatives à ses patients et les radiographies qui s’y rapportent. Apporter des éléments de preuve dans le cours de la procédure, comme des radiographies, n’est pas de nature à renverser la présomption.

Les développements repris au point C ne font que confirmer cette analyse » (c’est l’auteur du présent recours qui souligne).

Le point C de la décision entreprise est intitulé « Analyse ». Il compte 12 titres censés contenir les motifs de la décision entreprise, c’est-à-dire les développements de fait et de droit qui la fondent.

Ainsi, lorsque la Chambre de recours indique dans le point B de la décision entreprise – c’est-à-dire avant d’avoir ne serait-ce que cité les arguments en défense du requérant – que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve permettant de contredire la position du SECM et annonce que ce point de vue sera confirmé dans les développements qui suivent, elle ne présume pas le requérant innocent, mais coupable.

En effet, comment interpréter autrement l’attitude d’une juridiction qui indique expressément que l’« Analyse » du dossier et des faits viendront « confirmer » un postulat de culpabilité ?

En outre, le passage précité de la décision querellée contient une erreur de fait et de droit manifeste. En effet, le requérant ne s’est pas « borné à déclarer qu’il soignait une population pauvre et immigrée ». Affirmer cela, c’est faire fi des développements de sa requête d’appel, de ses conclusions d’appel, des pièces déposées – notamment les clichés dentaires et les explications y afférentes et le rapport de l’expert statisticien – et des plaidoiries du conseil du requérant. Ces développements sont loin d’être aussi réducteurs que ce qui est affirmé dans le passage ci-dessus de la décision de la Chambre de recours.

-56. Les développements qui figurent aux points -52 et -53 participent également à la démonstration du manque d’impartialité de la Chambre de recours à l’égard du requérant.

Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, le troisième moyen est fondé.

II.3.3. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

II.3.3.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-57. La partie adverse prétend que le deuxième moyen ne serait pas recevable en ce qu’il est pris de l’erreur de fait et de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire.

L’article 145, § 6, de la loi ASSI et l’article 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 excluraient que l’article 780, 3° du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce en raison de leur caractère supplétif. Ces dispositions ne se concilieraient pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

L’article 156, § 2, alinéa 2 de la loi ASSI et l’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat exclurait que l’article 1138, 4° du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce pour le motif que « A l’inverse d’un pourvoi en cassation sur pied de l’article 1138, 4° du Code judiciaire, le Conseil d’Etat, juge en cassation administrative, ne peut connaître que des moyens pris de la contravention de la loi ou de la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité ».

-58. Elle soutient ensuite que la Chambre de recours a valablement motivé sa décision au regard des exigences de motivation formelle de l’article 149 de la Constitution. Afin d’apporter la preuve du bien-fondé de son affirmation, elle rappelle en citant de la jurisprudence que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution serait étrangère à la valeur ou à la pertinence des motifs d’une décision juridictionnelle, ne permettrait pas de sanctionner une réponse incomplète données par les juges d’appel, ne permettrait pas de sanctionner une erreur de droit ou de fait dans un motif d’une décision juridictionnelle, et n’exigerait pas que le juge réponde un à un à tous les arguments de la partie requérante. Elle rappelle également qu’il suffit, pour constater l’absence de violation de cette disposition constitutionnelle, qu’il ressorte de l’ensemble de la décision juridictionnelle les raisons pour lesquelles la demande, l’exception, la défense ou le moyen ont été rejetés.

II.3.3.2. Argumentation à titre subsidiaire de la partie adverse

-59. La partie adverse soutient que la partialité subjective de la Chambre de recours ne serait pas établie.

Elle en veut pour preuves générales le fait qu’une ordonnance du président de la Chambre de recours autorise le dépôt de conclusions complémentaires alors que cette faculté n’est pas prévue par le règlement de procédure, et que la décision avant dire droit du 19 janvier 2012 ordonne une réouverture des débats à propos du Code pénal social.

Pour le reste, elle rencontre les indices de partialité mis en évidence dans la requête.

Elle indique à propos des considérations émises en page 5 de la décision entreprise qu’elles « ne font que constater objectivement des faits avérés, à savoir l’absence totale de collaboration de la part de Mr A au cours de l’enquête » et dit n’y voir « aucune hostilité, ni aucun reproche, quant à la manière dont Mr A a exercé ses droits de la défense devant la Chambre de 1ère instance et ultérieurement ». Elle poursuit en rappelant l’obligation de collaboration contenue dans l’article 150 de la loi ASSI.

Elle indique à propos des considérations émises en page 10 de la décision entreprise, qu’elle « ne constitue pas un refus de faire droit à une demande au seul motif que Mr A n’aurait pas exercé « par le passé ses droits de la défense » ». Elle met à ce propos en évidence que la Chambre de recours a indiqué qu’ « en tout état de cause, la demande d’examen dentaire contradictoire apparaît irrecevable aujourd’hui car tardive et impraticable » et a exposé les raisons pour lesquelles elle arrivait à cette conclusion.

Elle ajoute, toujours à propos des considérations émises en page 10 de la décision entreprise, un élément qui ne figure pas dans les motifs de la décision entreprise, à savoir que « Au demeurant, la partie requérante ayant déposé, en appel, des clichés radiographiques (clichés présentés et commentés à l’audience de la Chambre de recours), on ne perçoit pas l’utilité, la plus value d’une expertise dentaire (réalisée plusieurs années après les soins querellés) ».

A propos du reproche de partialité tenant dans la reproduction de pans entiers des conclusions déposées par le SECM, la partie adverse renvoie à un arrêt n° 216.658 du 1er décembre 2011 de Votre Conseil.

II.3.4. Réplique

II.3.4.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-60. L’article 780, 3°, du Code judiciaire prévoit que :

« Le jugement contient, à peine de nullité, outre les motifs et le dispositif:

(…)

3° l’objet de la demande et la réponse aux conclusions ou moyens des parties »

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

Cette position de la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 780, 3°, du Code judiciaire.

-61. L’article 1138, 4°, du Code judiciaire prévoit que :

« Il n’y a pas d’ouverture de requête civile, mais seulement, et contre les décisions rendues en dernier ressort, possibilité de pourvoi en cassation pour contravention à la loi :

(…)

4° si dans un jugement il y a des dispositions contraires ».

Cette disposition énonce le principe selon lequel des dispositions contraires dans un jugement peuvent donner lieu à pourvoi en cassation, et donc à cassation.

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure en cassation devant le Conseil d’Etat.

L’article 156, § 2, de la loi ASSI qui prévoit que les décisions de la Chambre de recours peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat n’est certainement pas inconciliable avec l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat ne l’est pas non plus, bien au contraire puisque ce que le requérant invoque dans le volet de son moyen ici discuté est une violation de la loi, soit de l’article 1138, 4°, du Code judiciaire qui pose le principe que les jugements ne peuvent pas contenir des dispositions contraires.

L’exception soulevée par la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

-62. Le requérant connaît la portée de l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution. Il sait que cette obligation est de pure forme.

Ce n’est toutefois pas parce que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est de pure forme, qu’elle ne peut pas avoir été violée par la Chambre d’appel. En effet, une décision juridictionnelle est motivée au sens de l’article 149 de la Constitution lorsque le juge indique clairement et sans équivoque les raisons, fussent-elles erronées et illégales, qui l’ont déterminé à statuer comme il l’a fait (C.E., n° 193.340 du 15 mai 2009, Pereira de Magalhaes cité en note (8) de la page 1473 par J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, dans l’ouvrage suivant : Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une contradiction dans les motifs est une cause de violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass., 26 avril 2010, C.09.0485.F disponible sur Juridat sous la référence F-20100426-5). De même, selon la Cour de cassation, laisser sans réponse une défense précise et circonstanciée qui invoquait des éléments objectifs vérifiables est également constitutif d’une violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass, 29 juin 2000, C.980512-F disponible sur Juridat sous la référence F-20000629-5).

Seul l’examen du moyen au fond permettra à Votre Conseil de conclure à sa recevabilité ou son irrecevabilité en ce qu’il est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.

Le requérant ajoutera à ce qui précède qu’il ne s’est pas contenté d’invoquer la violation de l’article 149 de la Constitution dans le premier moyen de sa requête, mais qu’il a invoqué parallèlement la violation de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles.

La partie adverse ne dit pas un mot de la violation de ce principe général. Elle ne prend même pas la peine de le citer dans le résumé du moyen qu’elle fait en page 8 de son mémoire en réponse.

Or, ce principe fonde l’obligation générale de motivation « qualitative » des juridictions administratives.

Selon la doctrine (fondée sur la jurisprudence de Votre Conseil notamment), en effet, « Même en l’absence d’un texte particulier le prescrivant expressément, les juridictions administratives ont l’obligation de motiver leurs décision. Cette obligation de forme est inséparable de tout acte de juridiction et revêt un caractère substantiel. Elle permet au justiciable, comme au Conseil d’Etat, de s’assurer que le juge a appliqué les règles de procédure, qu’il a examiné les éléments du dossier et répondu aux moyens qui lui ont été présentés. Bref, la motivation est le soutènement du dispositif » (J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, n° 593, pp. 1470 et 1471).

Selon les auteurs précités, les conditions auxquelles doit satisfaire la motivation des décisions juridictionnelles sur un plan qualitatif sont les suivantes : motivation suffisante (point 593.2.1), motivation admissible (593.2.2), motivation claire (593.2.3), motivation non contradictoire (593.2.4), réponse aux moyens et aux demandes (593.2.5), égard aux devoirs prescrits (593.2.6), égard aux offres de preuves, aux demandes d’enquêtes ou à d’autres mesures sollicitées (593.2.7) et motivation de la décision d’une juridiction administrative d’appel (593.2.8).

Pour les raisons ci-dessus, le moyen est recevable en ce compris en ce qu’il est pris de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire, et de l’article 149 de la Constitution.

II.3.4.2. Argumentation à titre subsidiaire de la partie adverse

-63. Avant tout autre développement, le requérant rappelle que les éléments de preuve de la partialité subjective de la Chambre de recours ne doivent pas être pris isolément, mais considérés dans leur ensemble. C’est l’accumulation des motifs tendancieux de la décision entreprise qui permettent de prouver l’existence de la partialité subjective de la Chambre de recours.

Cette première observation étant faite, le requérant maintient que les propos reproduits dans sa requête et issus de la page 5 de la décision querellée participent à la démonstration de la partialité de la Chambre de recours.

En effet, en trois paragraphes, sans aucune justification, la Chambre de recours qualifie les accusations du requérant à l’encontre du médecin-inspecteur de « prétendues » et de « non conforme(s) à la réalité », et donne du crédit aux accusation du médecin-inspecteur à l’encontre du requérant dans les termes suivants : « Par contre, il convient de relever que le médecin-inspecteur a dû composer avec un dispensateur de soins « récalcitrant » et peu enclin à collaborer à l’enquête ».

-64. Le requérant maintient également que les propos reproduits dans sa requête et issus de la page 10 de la décision querellée participent à la démonstration de la partialité de la Chambre de recours.

Pourquoi, en effet, la Chambre de recours aurait-elle consacré les trois paragraphes consécutifs ci-dessous au manque de collaboration du requérant si ce n’est parce qu’elle estimait que c’était un élément pertinent pour prendre sa décision ?

« En outre, l’appelant n’a jamais pris la peine de collaborer, un tant soit peu, à la procédure d’instruction du dossier, tant lors de l’enquête que devant la chambre de 1ère instance.

Lors de la procédure initiée devant la chambre de 1ère instance, l’appelant n’a pas transmis ses moyens de défense, alors qu’il en eu la possibilité à deux reprises, et n’a pas comparu personnellement à l’audience.

Les conclusions de l’appelant indiquent d’ailleurs, en remarque préliminaire, qu’il ne s’est « quasiment pas défendu », « n’a déposé ni pièces ni conclusions » et « sa défense à l’audience, par l’intermédiaire de son conseil, fut donc exclusivement orale ».

La référence que fait la partie adverse à l’article 150 de la loi ASSI n’est, dans ce contexte, pas sans signification. Cette disposition prévoit certes que les dispensateurs de soins ont un devoir de collaboration active aux enquêtes du SECM. Cette disposition ne prend toutefois pas le pas sur les garanties offertes notamment par l’article 6 de la CEDH qui impliquent que nul n’est jamais obligé de témoigner contre lui-même.

La lecture des passages ci-dessus de la décision entreprise et le rappel de l’article 150 de la loi ASSI dans le mémoire en réponse de la partie adverse permettent de douter sérieusement que les organes de l’INAMI aient compris qu’il convenait de faire la distinction selon que le prestataire de soins était appelé à collaborer à une enquête du SECM en qualité de « témoin » ou de « suspect ».

En outre, le fait qu’après avoir énoncé ce qui précède à propos du manque de collaboration du requérant, la Chambre de recours indique ce qui suit n’est pas de nature à convaincre le requérant que son moyen ne serait pas fondé :

« En tout état de cause, la demande d’un examen dentaire contradictoire apparaît irrecevable aujourd’hui car tardive et impraticable.

En effet, cette demande supposerait que les patients de l’appelant acceptent, au préalable d’être soumis à un examen dentaire contradictoire.

Elle supposerait également, pour être fiable, que leur état de santé dentaire n’ait pas évolué ; or, il est fort probable que les patients ont subi d’autres soins dentaires depuis la clôture de l’enquête du SECM et il ne peut être exclu, par ailleurs, que ces nouveaux soins dentaires aient été réalisés chez un autre dentiste que l’appelant.

Vouloir en 2010 vérifier l’état dentaire d’assurés observés en 2007 relativement à des prestations de 2006, ne permettrait aucune conclusion univoque ».

Ce que la partie adverse présente comme étant une preuve de l’objectivité de la Chambre de recours n’en est pas une aux yeux du requérant. Lorsqu’il lit le passage ci-dessus, il comprend que la Chambre de recours a tenté de justifier a posteriori la conviction qu’elle s’est forgée a priori après avoir constaté le manque de collaboration du requérant tant lors de l’enquête du SECM que devant la Chambre de première instance. C’est ce que lui inspirent les mots « en tout état de cause » et les considérations qui suivent, lesquelles sont, à son estime, énoncées avec un parti pris qui lui est clairement défavorable.

Comment comprendre autrement les considérations qui précèdent alors que le requérant a présenté et commenté les radiographies intrabuccales et panoramiques de ses patients sur lesquelles ont voit que des dents que le SECM dit être inexistantes sont en réalité bien présentes ?

-65. Pour le surplus, le requérant maintient que les autres exemples de partialité de la Chambre de recours à son égard, et à propos desquels la partie adverse ne s’est pas exprimée, sont pertinents et que l’ensemble des exemples de la requête permet de conclure au caractère fondé du troisième moyen.

II.4. Quatrième moyen

II.4.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-66. Le requérant prend un quatrième moyen de la violation de la foi due aux actes, de la loi du 14 juillet 1994, principalement ses articles 142 et 147 et suivants relatifs aux compétences des médecins inspecteurs et à la force probante de leurs procès-verbaux, de la violation de l’article 149 de la Constitution, de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire ainsi que de l’erreur et de la contradiction dans les motifs.

En ce que la Chambre de recours a donné foi aux dires tous les patients du requérant auditionnés par le SECM (tels que reproduits dans les procès-verbaux d’audition) alors que, d’une part, certains de ces patients ne comprenaient et ne parlaient soit pas du tout le français, soit pas suffisamment pour apporter un témoignage précis et en connaissance de cause et que, d’autre part, certains de ces patients ont apporté leur témoignage via un « traducteur » qui outre d’être non assermenté était parfois mineur et toujours sans aucune qualification pour ce faire.

Alors que la Chambre de recours ne peut fonder sa décision sur des éléments de preuve qui sont sérieusement contestés, sans énoncer, dans les motifs de sa décision, les raisons pour lesquelles elle a donné foi à ces actes nonobstant les critiques qui étaient dirigées contre eux.

II.4.2. Développement du moyen tel qu’exposé dans la requête

-67. Le requérant a fait valoir, dans sa requête et ses conclusions, une série de critiques à l’encontre de la manière dont le SECM a établi ses griefs à charge du requérant.

Parmi ces critiques, le requérant faisait valoir que certains des patients sélectionnés par le SECM et dont le « témoignage » a été recueilli et retranscrit dans des procès-verbaux d’audition, ne maîtrisaient pas suffisamment le français pour qu’il puisse être donné foi à leurs dires. Tout particulièrement, le requérant mettait en cause le fait que le SECM n’a pas entendu directement certains de ses patients, mais par l’intermédiaire d’un « traducteur » qui outre d’être non assermenté était mineur ou ne maitrisait pas lui-même suffisamment la langue française. Il visait expressément dans ses conclusions principales d’appel le cas de trois de ses patients : Mme F, M. G et M. H.

La Chambre de recours a « rencontré » cette argumentation du requérant dans le point 2 de sa décision intitulé les constats dentaires et les procès-verbaux d’audition des patients dans les motifs suivants (pages 5 et 6) :

« L’intimé a procédé à de nombreuses auditions et son enquête repose également sur de nombreux documents reçus des O.A.

Il convient de ne pas se focaliser sur le cas d’une assurée, Mme F, mis en exergue par l’appelant.

La chambre de recours fait siennes les considérations pertinentes émises par la chambre de première instance au point 11 de la décision attaquée.

Il paraît non pertinent dans le chef de l’appelant de mettre en cause à la fois la compétence du médecin-inspecteur et la fiabilité des personnes entendues.

Autrement dit, si l’on devait suivre (quod non) l’argumentation de l’appelant, celui-ci devrait être à l’abri de tout contrôle (et donc de toute poursuite) vu l’absence de « dentiste inspecteur » au sein du SECM et vu le caractère particulier de sa patientèle.

La chambre de recours observe que la chambre de première instance a justement souligné dans la décision attaquée (point 11) que :

«  (…)

Pour le surplus, la chambre considère que la réalité des constats en cause est suffisamment démontrée par l’ensemble des procès-verbaux d’audition et de constat, sans qu’il soit nécessaire de les reproduire intégralement ici » ».

Dans les motifs ci-dessus, qui sont les seuls consacrés à la foi qui peut être apportée aux procès-verbaux d’audition des patients auditionnés par le SECM, la Chambre de recours répond à la question de la fiabilité du témoignage des patients qui ont été auditionnés via un « traducteur » – parfois mineur, dont la compétence n’est pas établie, non assermenté et sur lequel aucun contrôle ne peut être exercé – ou directement alors qu’ils ne maîtrisent pas le français, par une formule de style qui ne permet pas de comprendre pourquoi elle y a donné du crédit. Elle dit, d’une part, « Il convient de ne pas se focaliser sur le cas d’une assurée, Mme F, mis en exergue par l’appelant ». Or, d’autres cas de patients clairement identifiés dans les conclusions du requérant étaient mis en cause. Elle dit d’autre part, faire « siennes les considérations pertinentes émises par la chambre de première instance au point 11 de la décision attaquée ». Or, il n’est pas question du crédit qui peut être donné aux témoignages litigieux dans le point 11 de la décision de première instance, si ce n’est dans des termes qui s’apparentent également à une clause de style : « Pour le surplus, la chambre considère que la réalité des constats en cause est suffisamment démontrée par l’ensemble des procès-verbaux d’audition et de constat, sans qu’il soit nécessaire de les reproduire intégralement ici ».

La Chambre de recours a donc violé les dispositions et principes visés au moyen.

Cette violation n’est pas sans incidence sur l’issue du litige dont elle avait à connaître. En effet, en donnant foi aux témoignages litigieux, la Chambre de recours a validé le fondement de l’« extrapolation » à l’origine des griefs à l’encontre du requérant et de la procédure pendante devant elle.

Cette violation est d’autant moins sans incidence sur l’issue du litige dont la Chambre de recours avait à connaître que le requérant dirigeait également des critiques sérieuses à l’encontre de certains des constats dentaires opérés par le SECM sur 20 de ses patients, et que ces critiques n’ont pas non plus été rencontrées dans la décision de la Chambre de recours.

Le requérant offrait, en effet, à la Chambre de recours de prouver par la production de clichés radiographiques et des commentaires écrits et oraux à leur propos, a) que les obturations litigieuses ont effectivement été réalisées b) que, dans la majorité des cas, ces obturations à l’aide de matériau composite passent totalement inaperçues à l’œil nu. Cette offre de preuve était expressément faite dans les conclusions additionnelles du requérant.

La prise de connaissance des clichés radiographiques et des commentaires qui les accompagnaient permettaient de constater que des dents que le SECM disait ne pas être présentes dans la bouche d’un patient l’étaient (par exemple chez patient numéro 16) ou que des obturations non décelables à l’œil nu étaient visibles sur les clichés radiographiques produits. Ces éléments étaient de nature à mettre directement en cause les constatations du SECM à partir desquelles les « extrapolations » ont été faites, et les griefs dirigés à l’encontre du requérant.

Ainsi qu’il l’a été développé dans le premier grief du premier moyen, la Chambre de recours a irrégulièrement refusé d’avoir égard à cette offre de preuve (absence de justification ou justification reposant sur des constatations contredites par le dossier).

En ne retenant pas l’offre de preuve du requérant, la Chambre de recours a implicitement, mais certainement donné foi aux constats dentaires opérés par le SECM. Ce faisant, elle a donné foi à des constats auxquels elle ne pouvait donner aucun crédit.

A tout le moins, elle devait exposer les raisons pour lesquelles nonobstant les critiques que le requérant faisait valoir à l’encontre desdits constats, elle estimait que le SECM avait valablement pu s’y appuyer pour formuler ses griefs à l’encontre du requérant. Or, elle ne le fait pas dans la décision entreprise sinon d’une manière qui fait douter de ce qu’elle ait réellement pris l’argumentation du requérant en considération.

Les développements à ce propos figurent en page 6 de la décision entreprise. On y lit ce qui suit :

« La chambre de recours observe que la chambre de première instance a justement souligné dans la décision attaquée (point 11) que :

«  (…)

D’autre part, les allégations relatives à ce manque d’aptitude sont strictement formelles et rien n’indique qu’elles correspondent à la réalité, à plus forte raison d’une manière telle que tous les constats posés devraient être écartés. La Chambre relève notamment que monsieur A, alors qu’il dispose par hypothèse des dossiers de tous ses patients et des procès-verbaux de constats, reste bien en peine de faire état d’un seul exemple dans lequel il aurait été considéré par le Service qu’une dent était toujours intacte alors qu’il l’avait en réalité soignée. (…)

De la sorte, monsieur A n’avance aucun élément concret et précis de nature à donner du crédit à la contestation qu’il soulève.

Pour le surplus, la chambre considère que la réalité des constats en cause est suffisamment démontrée par l’ensemble des procès-verbaux d’audition et de constat, sans qu’il soit nécessaire de les reproduire intégralement ici ».

« Enfin, c’est à juste titre que l’intimé constate que les clichés, produits pour la première fois en même temps que le dépôt de la requête d’appel de l’appelant, sont déclarés dater de 2008 (à l’exception d’un cliché de 2005) et sont donc postérieurs au contrôle effectué par le SECM et même postérieurs d’environ 2 ans par rapport aux dates des prestations reprochées.

En outre, les documents iconographiques ne permettent pas de manière univoque l’identification des dents en cause : photos centrées sur 1 ou 2 et aucune certitude quant à l’identification (déclarée par le prestataire) des assurés sur ces clichés informatisés » (décision, pages 6 et 7).

La Chambre de recours a donc violé les dispositions et principes visés au moyen.

Cette violation n’est pas sans incidence sur l’issue du litige dont elle avait à connaître. En effet, en donnant foi aux témoignages litigieux, la Chambre de recours a validé le fondement de l’« extrapolation » à l’origine des griefs à l’encontre du requérant et de la procédure pendante devant elle.

II.4.3. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

II.4.3.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-68. La partie adverse prétend que le deuxième moyen ne serait pas recevable en ce qu’il est pris de l’erreur de fait et de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 145, § 6, de la loi ASSI et l’article 19, § 6, de l’arrêté royal du 9 mai 2008 excluraient que l’article 780, 3° du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce en raison de leur caractère supplétif. Ces dispositions ne se concilieraient pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

L’article 156, § 2, alinéa 2 de la loi ASSI et l’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat exclurait que l’article 1138, 4°, du Code judiciaire puisse trouver à s’appliquer en l’espèce pour le motif que « A l’inverse d’un pourvoi en cassation sur pied de l’article 1138, 4° du Code judiciaire, le Conseil d’Etat, juge en cassation administrative, ne peut connaître que des moyens pris de la contravention de la loi ou de la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité ».

-69. Elle soutient ensuite que la Chambre de recours a valablement motivé sa décision au regard des exigences de motivation formelle de l’article 149 de la Constitution. Afin d’apporter la preuve du bien-fondé de son affirmation, elle rappelle en citant de la jurisprudence que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution serait étrangère à la valeur ou à la pertinence des motifs d’une décision juridictionnelle, ne permettrait pas de sanctionner une réponse incomplète données par les juges d’appel, ne permettrait pas de sanctionner une erreur de droit ou de fait dans un motif d’une décision juridictionnelle, et n’exigerait pas que le juge réponde un à un à tous les arguments de la partie requérante. Elle rappelle également qu’il suffit, pour constater l’absence de violation de cette disposition constitutionnelle, qu’il ressorte de l’ensemble de la décision juridictionnelle les raisons pour lesquelles la demande, l’exception, la défense ou le moyen ont été rejetés.

II.4.3.2. Argumentation à subsidiaire de la partie adverse

70. La partie adverse soutient que le requérant soumettrait l’appréciation concrète des faits à la juridiction de Votre Conseil.

Elle cite de la jurisprudence confirmant que Votre Conseil ne peut exercer un contrôle de cet ordre.

Elle soutient en outre que le requérant met à tort en exergue le cas de trois patients pour mettre en cause l’ensemble des éléments recueillis lors de l’enquête du SECM.

Elle indique enfin que les clichés et commentaires produits en appel ont été visualisés, entendus et commentés lors de l’audience de la Chambre de recours et que la décision se prononce à leurs propos en page 6.

II.4.4. Réplique

II.4.4.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse – Questions de recevabilité

-71. L’article 780, 3°, du Code judiciaire prévoit que :

« Le jugement contient, à peine de nullité, outre les motifs et le dispositif:

(…)

3° l’objet de la demande et la réponse aux conclusions ou moyens des parties »

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure devant la Chambre de recours.

Cette position de la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 780, 3°, du Code judiciaire.

-72. L’article 1138, 4°, du Code judiciaire prévoit que :

« Il n’y a pas d’ouverture de requête civile, mais seulement, et contre les décisions rendues en dernier ressort, possibilité de pourvoi en cassation pour contravention à la loi :

(…)

4° si dans un jugement il y a des dispositions contraires ».

Cette disposition énonce le principe selon lequel des dispositions contraires dans un jugement peuvent donner lieu à pourvoi en cassation, et donc à cassation.

Le requérant n’aperçoit pas en quoi cette disposition du Code judiciaire ne se concilierait pas avec le caractère autonome et spécifique de la procédure en cassation devant le Conseil d’Etat.

L’article 156, § 2, de la loi ASSI qui prévoit que les décisions de la Chambre de recours peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat n’est certainement pas inconciliable avec l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

L’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat ne l’est pas non plus, bien au contraire puisque ce que le requérant invoque dans le volet de son moyen ici discuté est une violation de la loi, soit de l’article 1138, 4°, du Code judiciaire qui pose le principe que les jugements ne peuvent pas contenir des dispositions contraires.

L’exception soulevée par la partie adverse est d’autant moins convaincante que le moyen est également pris de la violation de l’article 149 de la Constitution et de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles. Or, comme il l’est rappelé ci-dessous, cette disposition et cette obligation contiennent l’obligation exprimée à l’article 1138, 4°, du Code judiciaire.

-73. Le requérant connaît la portée de l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution. Il sait que cette obligation est de pure forme.

Ce n’est toutefois pas parce que l’obligation de motivation contenue dans l’article 149 de la Constitution est de pure forme, qu’elle ne peut pas avoir été violée par la Chambre d’appel. En effet, une décision juridictionnelle est motivée au sens de l’article 149 de la Constitution lorsque le juge indique clairement et sans équivoque les raisons, fussent-elles erronées et illégales, qui l’ont déterminé à statuer comme il l’a fait (C.E., n° 193.340 du 15 mai 2009, Pereira de Magalhaes cité en note (8) de la page 1473 par J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, dans l’ouvrage suivant : Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une contradiction dans les motifs est une cause de violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass., 26 avril 2010, C.09.0485.F disponible sur Juridat sous la référence F-20100426-5). De même, selon la Cour de cassation, laisser sans réponse une défense précise et circonstanciée qui invoquait des éléments objectifs vérifiables est également constitutif d’une violation de l’article 149 de la Constitution (notamment : Cass, 29 juin 2000, C.980512-F disponible sur Juridat sous la référence F-20000629-5).

Seul l’examen du moyen au fond permettra à Votre Conseil de conclure à sa recevabilité ou son irrecevabilité en ce qu’il est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.

Le requérant ajoutera à ce qui précède qu’il ne s’est pas contenté d’invoquer la violation de l’article 149 de la Constitution dans le premier moyen de sa requête, mais qu’il a invoqué parallèlement la violation de l’obligation générale de motivation des décisions juridictionnelles.

La partie adverse ne dit pas un mot de la violation de ce principe général. Elle ne prend même pas la peine de le citer dans le résumé du moyen qu’elle fait en page 8 de son mémoire en réponse.

Or, ce principe fonde l’obligation générale de motivation « qualitative » des juridictions administratives.

Selon la doctrine (fondée sur la jurisprudence de Votre Conseil notamment), en effet, « Même en l’absence d’un texte particulier le prescrivant expressément, les juridictions administratives ont l’obligation de motiver leurs décisions. Cette obligation de forme est inséparable de tout acte de juridiction et revêt un caractère substantiel. Elle permet au justiciable, comme au Conseil d’Etat, de s’assurer que le juge a appliqué les règles de procédure, qu’il a examiné les éléments du dossier et répondu aux moyens qui lui ont été présentés. Bref, la motivation est le soutènement du dispositif » (J. SALMON, J. JAUMOTTE et E. THIBAUT, Le Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, n° 593, pp. 1470 et 1471).

Selon les auteurs précités, les conditions auxquelles doit satisfaire la motivation des décisions juridictionnelles sur un plan qualitatif sont les suivantes : motivation suffisante (point 593.2.1), motivation admissible (593.2.2), motivation claire (593.2.3), motivation non contradictoire (593.2.4), réponse aux moyens et aux demandes (593.2.5), égard aux devoirs prescrits (593.2.6), égard aux offres de preuves, aux demandes d’enquêtes ou à d’autres mesures sollicitées (593.2.7) et motivation de la décision d’une juridiction administrative d’appel (593.2.8).

Pour les raisons ci-dessus, le moyen est recevable en ce compris en ce qu’il est pris de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire, et de l’article 149 de la Constitution.

II.2.4.2. Argumentation à titre subsidiaire de la partie adverse

-74. Contrairement à ce que prétend la partie adverse, le requérant ne soumet pas à Votre Conseil l’appréciation concrète des faits soumis à la Chambre de recours. Il ne lui demande pas plus de substituer son appréciation à celle de la Chambre de recours, ni de juger de la « valeur » des témoignages des certains de ses patients.

Le requérant soumet à Votre censure la question de la foi donnée à certains procès-verbaux et à leur force probante, lorsque, comme en l’espèce, le requérant a apporté de nombreux éléments a priori sérieux pour contester qu’il puisse y être donné crédit.

Le requérant soumet également à Votre censure les motifs avec lesquels la Chambre de recours a « balayé » les arguments a priori sérieux qu’il a apportés pour démontrer qu’il ne pouvait pas être donné crédit à certains procès-verbaux et témoignages, et démontrer ainsi que l’extrapolation proposée par le SECM reposait sur des bases inexactes.

Le requérant soumet enfin à Votre censure, le traitement qui a été réservé par la Chambre de recours à certaines de ses offres de preuves.

Ce faisant, le requérant reste bien dans le cadre du moyen qu’il a présenté et dans une discussion relative à la violation de la foi due aux actes, de la loi du 14 juillet 1994, principalement ses articles 142 et 147 et suivants relatifs aux compétences des médecins inspecteurs et à la force probante de leurs procès-verbaux, de la violation de l’article 149 de la Constitution, de l’obligation de motivation des décisions juridictionnelles, de la violation des articles 780, 3° et 1138, 4° du Code judiciaire ainsi que de l’erreur et de la contradiction dans les motifs.

II.5. Cinquième moyen

II.5.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-75. Le requérant prend un cinquième moyen de la violation de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social, principalement son article 79, des articles 65, 69 à 73, 79, 101 et 225 du Code pénal social, de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités, principalement ses articles 73, 73bis, 141 et 142 dans leurs versions successives, de l’article 2, alinéa 2, du Code pénal, de l’article 15, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du principe du contradictoire et du respect des droits de la défense.

En ce que, la Chambre de recours a jugé que « ce sont donc bien les amendes administratives prévues par l’article 141 de la loi ASSI et infligées par la chambre de 1ère instance, qui trouvent à s’appliquer ».

Alors que, en application des dispositions visées au moyen, ce sont les sanctions prévues par l’article 225, 3°, du Code pénal social qui devaient trouver à s’appliquer parce qu’elles sont moins fortes que celles qui étaient contenues dans l’article 141 de la loi du 14 juillet 1994 dans la version qui était d’application le jour de l’introduction de la requête devant la Chambre de première instance.

II.5.2. Développement du moyen tel qu’exposé dans la requête

-76. L’article 79 de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social a inséré un article 169 nouveau dans la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités, ainsi libellé :

«  Les infractions aux dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d’exécution sont recherchées, constatées et sanctionnées conformément au Code pénal social.

Les inspecteurs sociaux disposent des pouvoirs visés aux articles 23 à 39 du Code pénal social lorsqu’ils agissent d’initiative ou sur demande dans le cadre de leur mission d’information, de conseil et de surveillance relative au respect des dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d’exécution ».

Il est résulté de l’entrée en vigueur de cette disposions, le 1er juillet 2011, que les infractions à ladite loi et à ses arrêtés d’exécution étaient désormais sanctionnées conformément au Code pénal social.

Il en est résulté qu’il n’était plus question d’appliquer au requérant les dispositions de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 qui prévoyait des sanctions, sauf si ces sanctions étaient moins fortes que celles désormais prévues par le Code pénal social.

Cette conclusion se fonde sur l’article 2 du Code pénal et l’article 15, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lesquelles posent le principe général selon lequel, si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l’infraction, la peine la moins forte est appliquée. Il n’est pas douteux que ce principe général est applicable également aux sanctions administratives[1][2].

-77. Le 15 février 2012, le législateur a adopté une loi modifiant la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, et le Code pénal social. Cette loi est entrée en vigueur le 18 mars 2012.

Elle a, pour ce qui intéresse le présent recours, « rétabli » le système de poursuite et de sanction prévu par l’article 142 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 en modifiant l’article 169 du Code pénal social et en abrogeant l’article 225, 3°, du même Code.

En effet, l’intention du législateur du 6 juin 2010 n’avait, semble-t-il jamais été d’abroger le système de sanctions administratives spécifique aux prestataires de soins pour des infractions du type de celles reprochées au requérant.

Ceci ressort de l’extrait suivant de l’exposé de la Ministre de la Justice en Commission de la justice du Sénat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi précitée adoptée par la Chambre (et devenue projet de loi) :

« Les “lois santé 2006 et 2008” ont mis en place un système spécifique de règlement des litiges entre les dispensateurs de soins et le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI (SECM).

Ce système a été implicitement supprimé lors de l’introduction du Code pénal social, alors que ce n’était pas l’intention du législateur. Les auteurs de la proposition de loi à l’examen souhaitaient remédier à ce problème ».

Ceci ressort également du commentaire de l’article 2 de la proposition de loi du 15 février 2012 (Doc. Chambre, 53-1658/001, p. 4) :

« Le système mis en place par les lois sur la santé de 2006 et 2008, prévoyant des mesures spécifiques et des procédures garantissant le droit à un procès équitable devant les instances et juridictions administratives spécialement mises en place (fonctionnaire dirigeant, Chambre de première instance, Chambre de recours et recours en cassation administrative devant le Conseil d’État), dans le cadre duquel l’appréciation des aspects médicaux est essentielle, serait supprimé d’un seul trait.

Ceci n’a manifestement jamais été l’intention du législateur ».

Il n’en demeure pas moins que le législateur du 6 juin 2010 avait bien abrogé le système de sanctions spécifiques aux prestataires de soins pour des infractions du type de celles reprochées au requérant et l’avait bien remplacé par celui du Code pénal social.

Les sanctions prévues par l’article 225 du Code pénal social ont, donc, bien été d’application entre le 1er juillet 1010 (date d’entrée en vigueur de la loi du 6 juin 2010) et le 18 mars 2012 (date d’entrée en vigueur de la loi du 15 février 2012).

Le fait que le système de sanction instauré par l’article 79 de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social n’était plus en vigueur au moment où la décision de la Chambre de recours a été rendue n’implique pas que seules les sanctions de la loi du 14 juillet 1994 pouvaient être appliquées.

En effet, il ressort des travaux préparatoires du Code pénal, de la doctrine et de la jurisprudence de la Cour de cassation, que les personnes concernées doivent bénéficier du régime plus favorable même s’il n’a été que temporairement d’application à leur situation.

La Cour de cassation a affirmé clairement ce principe dans son arrêt du 8 novembre 2005 (Pas., I, p. 2169).

La doctrine affirme également clairement ce principe. On renverra à cet égard au point de vue ci-dessous de F. KUTY et aux références qu’il cite dans ses notes 1336 et 1337 (Principes généraux du droit pénal, T. 1, 2ème Ed., 2009, Bruxelles, Larcier, pp.271 et 272) :

« La même solution s’impose encore lorsque plus de deux législations se sont succédé entre le moment de la commission de l’infraction et celui où elle est jugée. Il en va ainsi, notamment, lorsque trois lois se sont succédées et que la deuxième s’avère la plus douce. « Le principe de l’article 2, alinéa 2, du Code pénal commande l’application de la deuxième loi, la loi la moins sévère, car existence de cette loi a créé (…) pour (le prévenu) un droit que la troisième loi n’a pu lui enlever ». Le juge appliquera donc la loi la plus douce, quelle qu’elle soit, et alors même qu’elle n’aurait été en vigueur ni lors de la commission de l’infraction ni lors du jugement. Les travaux préparatoires du Code pénal sont formels à cet égard : « La peine ne se justifiant que par la nécessité, il suffit que, durant un instant, cette nécessité se soit modifiée pour que le prévenu puisse demander à la société le bénéfice de cette modification ». La Cour de cassation a récemment dit pour droit, pour la première fois, que lorsque trois lois pénales se succèdent dans le temps et que la peine prévue par la première, qui était en vigueur au moment de la commission de l’infraction, est plus sévère que celle prévue par la troisième loi en vigueur au moment de la prononciation de la décision de condamnation, mais que cette peine, à son tour, est plus sévère que celle qui était applicable à l’infraction entre le moment de sa commission et celui de la prononciation de la décision de condamnation, la peine qui doit être infligée est celle établie par la loi intermédiaire, la moins sévère ».

La Chambre de recours devait, donc, faire application au requérant – à considérer qu’elle pouvait juger que les griefs étaient fondés, quod non – des dispositions prévoyant les sanctions les plus favorables même si ces dispositions étaient celles du Code pénal social qui n’a été que furtivement d’application, sous peine de violer les dispositions et principes visés au moyen.

-78. La Chambre de recours a appliqué les sanctions prévues à l’article 141, §5, alinéa 5, a et b de la loi du 14 juillet 1994 tel qu’il était en vigueur avant le 15 mai 1997 pour le motif qu’en application de l’article 112 de la loi du 13 décembre 1996 et de l’article 261 de la loi du 27 décembre 2006, les faits commis avant le 15 mai 2007 restent soumis, pour ce qui concerne la prescription et les amendes administratives applicables, aux dispositions telles qu’elles existaient avant le 15 mai 2007.

Or, ces dispositions prévoient non seulement des amendes administratives (de 50 à 200% de la valeur des prestations concernées pour les prestations non effectuées et de 50 à 150% de la valeur des prestations concernées pour les prestations non conformes), mais aussi le remboursement de l’indu.

L’article 225, 3° du Code pénal social intitulé « Les obligations des praticiens de l’art de guérir », prévoit que :

« Sont punis d’une sanction de niveau 2 :

(…)

3° les praticiens de l’art de guérir, les kinésithérapeutes, les praticiens de l’art infirmier et les auxiliaires paramédicaux qui délivrent une attestation de soins alors qu’il n’est pas satisfait aux dispositions de la loi précitée du 14 juillet 1994 et de ses arrêtés et règlements d’exécution ».

L’article 110 du Code pénal social intitulé « Les niveaux de sanction », prévoit que :

« Les infractions visées au Livre 2 sont punies d’une sanction de niveau 1, de niveau 2, de niveau 3 ou de niveau 4.

La sanction de niveau 1 est constituée d’une amende administrative de 10 à 100 euros.

La sanction de niveau 2 est constituée soit d’une amende pénale de 50 à 500 euros, soit d’une amende administrative de 25 à 250 euros.

La sanction de niveau 3 est constituée soit d’une amende pénale de 100 à 1000 euros, soit d’une amende administrative de 50 à 500 euros.

La sanction de niveau 4 est constituée soit d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende pénale de 600 à 6000 euros ou de l’une de ces peines seulement, soit d’une amende administrative de 300 à 3000 euros ».

Les dispositions utiles du Code pénal social ne prévoient, donc, pas de remboursement de l’indu par le prestataire de soin qui se voir reprocher d’avoir « délivré une attestation de soins alors qu’il n’est pas satisfait aux dispositions de la loi précitée du 14 juillet 1994 et de ses arrêtés et règlements d’exécution ».

Même si en matière administrative, la Cour de Cassation n’a pas établi, comme en matière pénale, une échelle de mesure de la gravité des peines, l’affirmation ci-dessus semble difficilement contestable. Alors qu’en application de l’article 141 tel qu’il était d’application en 2007, le requérant était susceptible de se voir condamnée à rembourser la valeur des prestations non effectuées ET une amende comprise entre 50% et 200% (ou entre 50% et 150%), en application de l’article 225, 3°, du Code pénal social il n’est plus susceptible de se voir appliquer qu’une sanction de nature pécuniaire.

Elles sont donc bien moins lourdes que celles prévues par l’article 141, §5, alinéa 5, a et b de la loi du 14 juillet 1994 tel qu’il était en vigueur avant le 15 mai 1997. Le fait que les articles 112 de la loi du 13 décembre 1996 et 261 de la loi du 27 décembre 2006 prévoient que les faits commis avant le 15 mai 2007 restent soumis, pour ce qui concerne la prescription et les amendes administratives applicables, aux dispositions telles qu’elles existaient avant le 15 mai 2007, n’est pas de nature à primer sur les principes et dispositions à portée générale et supérieure visés au moyen.

En ne le constatant pas, la Chambre de recours a violé les principes et dispositions visées au moyen.

-79. La Chambre de recours a également violé les principes et dispositions visés au moyen, et tout particulièrement, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe du contradictoire, d’équitable procédure et des droits de la défense, en retenant à titre subsidiaire que si une sanction du Code pénal social avait dû être infligée au requérant, cela aurait nécessairement été une sanction de niveau 4.

En effet, la sanction de niveau 4, qui en vertu de l’article 110 du Code pénal social est constituée « soit d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende pénale de 600 à 6000 euros ou de l’une de ces peines seulement, soit d’une amende administrative de 300 à 3000 euros », peut être infligée qu’au praticien de l’art de guérir qui tombe dans le champ d’application des articles 232 et/ou 233.

L’article 232 du Code pénal social prévoit que :

« Est puni d’une sanction de niveau 4, quiconque, dans le but, soit d’obtenir ou de faire obtenir, de conserver ou de faire conserver un avantage social indu, soit de ne pas payer ou de ne pas faire payer de cotisations, d’en payer moins ou d’en faire payer moins que celles dont il ou autrui est redevable :

1° a) a commis un faux en écriture, soit par fausses signatures, soit par contrefaçon ou altération d’écritures ou de signatures, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges ou par leur insertion dans un acte, soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que cet acte avait pour objet de recevoir ou de constater;

b) a fait usage d’un acte faux ou d’une pièce fausse;

2° a) a commis un faux, en introduisant dans un système informatique, en modifiant ou effaçant des données, qui sont stockées, traitées ou transmises par un système informatique, ou en modifiant par tout moyen technologique l’utilisation possible de données dans un système informatique, et par là modifie la portée juridique de telles données;

b) a fait usage des données ainsi obtenues, tout en sachant que celles-ci sont fausses »

Aucun grief de cet ordre n’a jamais été reproché au requérant par le SECM. Aucun grief de cet ordre n’est visé dans la requête du SECM ou n’a été discuté devant les juridictions administratives compétentes.

L’article 233 du Code pénal social prévoit que :

« §1er. Est puni d’une sanction de niveau 4, quiconque a sciemment et volontairement :

1° fait une déclaration inexacte ou incomplète pour obtenir ou faire obtenir, pour conserver ou faire conserver un avantage social indu;

2° omis ou refusé de faire une déclaration à laquelle il est tenu ou de fournir les informations qu’il est tenu de donner pour obtenir ou faire obtenir, pour conserver ou faire conserver un avantage social indu;

3° reçu un avantage social auquel il n’a pas droit ou n’a que partiellement droit à la suite d’une déclaration visée à l’alinéa 1er, 1°, d’une omission ou d’un refus de faire une déclaration ou de fournir des informations visées à l’alinéa 1er, 2°, ou d’un acte visé aux articles 232 et 235.

Lorsque les infractions visées à l’alinéa 1er sont commises par l’employeur, son préposé ou son mandataire pour faire obtenir ou faire conserver un avantage social auquel le travailleur n’a pas droit, l’amende est multipliée par le nombre de travailleurs concernés.

§ 2. Est puni d’une sanction de niveau 3, quiconque a, sciemment et volontairement, omis de déclarer ne plus avoir droit à un avantage social, même si ce n’est que partiellement, pour conserver un avantage social indu ».

Aucun grief de cet ordre ne n’a jamais été reproché au requérant par le SECM. Aucun grief de cet ordre n’est visé dans la requête du SECM ou n’a été discuté devant les juridictions administratives compétentes.

Le cinquième moyen est donc fondé.

II.5.3. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

II.5.3.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse

-80. Jurisprudence à l’appui, la requérante soutient que le moyen ne serait pas recevable pour le motif que la violation des articles 79, 65, 69 à 73 du Code pénal social et de l’article 15, § 1er, du PIDCP est soulevée pour la première fois devant Votre Conseil.

Elle indique qu’à la suite de la réouverture des débats ordonnée par la Chambre de recours, le requérant avait uniquement invoqué l’article 169 de la loi ASSI coordonnée et les articles 101 et 225 du Code pénal social.

II.5.3.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse

-81. La partie adverse soutient que la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social a uniquement abrogé les dispositions de la loi ASSI relatives aux sanctions pénales applicables aux infractions commises par les dispensateurs de soins. Elle ajoute que l’article 225 du Code pénal social reprend les infractions pénales initialement prévues à l’article 170 de la loi ASSI.

Elle insiste sur le fait que la loi du 6 juin 2010 n’a abrogé ni l’article 141 de la loi ASSI ni ses dispositions relatives à la compétence des Chambres de première instance et de recours.

Elle admet que la loi du 6 juin 2010, a modifié au 1er juillet 2011, l’article 169 de la loi ASSI en précisant que « les infractions aux dispositions de la présente loi seront recherchées et sanctionnées conformément au Code pénal social ». Elle relève, toutefois, que cette disposition a été modifiée une nouvelle fois par l’article 2 de la loi du 15 février 2012 de sorte que les infractions commises par les dispensateurs de soins échappent aux sanctions prévues par l’article 225, 3° du Code pénal social.

Elle indique, en conclusion, que la Chambre de recours a fait une application correcte de l’article 2, alinéa 2, du Code pénal en comparant les peines existantes au moment de l’infraction et celles établies au moment du jugement.

En réponse à l’argumentation du requérant se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il faut appliquer la peine la plus favorable au prévenu, même si celle-ci n’était ni d’application au moment de l’infraction, ni au moment du jugement, mais l’a été dans l’intervalle, la partie adverse indique que cette position ne fait pas l’unanimité dans la doctrine.

II.5.4. Réplique

II.5.4.1. Argumentation à titre principal de la partie adverse

-82. Les vices dénoncés dans le cinquième moyen de la requête sont des vices propres à la décision de la Chambre de recours. Ce que le requérant met en cause ici c’est l’erreur de droit commise par la Chambre de recours, consistant dans une interprétation erronée de la loi, en l’occurrence de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social, principalement son article 79, des articles 65, 69 à 73, 79, 101 et 225 du Code pénal social, de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités, principalement ses articles 73, 73bis, 141 et 142 dans leurs versions successives, de l’article 2, alinéa 2, du Code pénal, de l’article 15, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le moyen est donc recevable (C.E., n° 29.286 du 5 février 1988, Geroux).

II.5.4.2. Argumentation à titre subsidiaire de la partie adverse

-83. Le requérant renvoie aux développements ci-dessus qui figuraient dans sa requête en guise de réplique à l’argumentation de la partie adverse.

II.6. Sixième moyen

II.6.1. Rappel du moyen tel qu’exposé dans la requête

-84. Le requérant prend un sixième moyen de la violation de l’article 142, § 2, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités, de l’article 2219 du Code civil, du principe général de prescription, ainsi que de l’erreur de droit.

En ce que, la Chambre de recours admet que des éléments matériels prescrits ont été pris en considération pour fonder les griefs dirigés à l’encontre du requérant.

Alors que les dispositions visées au moyen lui interdisaient de poser un tel constat sans commettre une erreur de droit.

II.6.2. Développement du moyen tel qu’exposé dans la requête

-85. L’article 142, § 2 (dans la version qui était en vigueur à l’époque) prévoit que :

« Les éléments matériels constitutifs de l’infraction visée à l’article 73bis sont constatés par un procès-verbal dressé par les fonctionnaires assermentés visés à l’article 146.

Ces procès-verbaux doivent être établis, à peine de forclusion, dans les deux ans à compter de la date à laquelle les documents relatifs aux faits litigieux sont reçus par les organismes assureurs ».

L’article 73bis de la loi (dans la version qui était en vigueur à l’époque) prévoit que :

« Sans préjudice d’éventuelles poursuites pénales et/ou disciplinaires et nonobstant les dispositions des conventions ou des accords visés au Titre III, il est interdit aux dispensateurs de soins et assimilés, sous peine des mesures énoncées à l’article 142, § 1er :

1° de rédiger, faire rédiger, délivrer ou faire délivrer des documents réglementaires visés dans la présente loi ou ses arrêtes exécution lorsque les prestations n’ont pas été effectuées ou fournies;

2° de rédiger, faire rédiger, délivrer ou faire délivrer les documents réglementaires précités lorsque les prestations ne satisfont pas aux conditions prévues dans la présente loi, ses arrêtés d’exécution ou les conventions ou accords conclus en vertu de cette même loi ».

La lecture combinée de ces deux dispositions implique que le SECM dispose de deux ans maximum à partir de la réception des documents relatifs aux faits litigieux par les organismes assureurs, pour constater dans un procès-verbal de constat les éléments constitutifs d’une infraction consistant en des prestations qui n’ont pas été effectuées ou fournies ou qui ne satisfont pas aux dispositions prévues dans la législation et réglementation applicable.

En l’occurrence, le SECM a admis avoir constaté des éléments matériels soi-disant constitutifs d’infraction à l’article 73bis au-delà du délai de deux ans visé à l’article 142, § 2, de la loi du 14 juillet 1994. Il refuse, toutefois, d’admettre que ces éléments matériels, d’une part, ne pouvaient pas figurer dans ses procès-verbaux de constat et, d’autre part, ne pouvaient pas servir de fondement aux griefs par « extrapolation » mis à charge du requérant.

Il va jusqu’à soutenir que des éléments matériels prescrits pourraient être pris en considération dans la formulation du grief après application de la « méthode d’extrapolation », c’est-à-dire dans la détermination d’un coefficient de prestations non réalisées ou non conformes « extrapolé » à partir des prestations non réalisées ou non conformes soi-disant constatées dans l’échantillon de patients auditionnés et « examinés ». Autrement exprimé encore, il va jusqu’à soutenir que des éléments matériels prescrits pourraient intervenir dans le calcul du coefficient d’extrapolation appliqué à l’ensemble du profil (ou chiffre d’affaires), à savoir le rapport (ou ratio), en valeur, des prestations non réalisées ou non conformes soi-disant constatées au sein de l’échantillon, divisé par le total des prestations de cet échantillon.

Ce faisant, il soutient ni plus ni moins que des éléments matériels prescrits peuvent fonder un grief.

-86. Dans le passage ci-dessous reproduit de sa décision, la Chambre de recours a « validé » le raisonnement ci-dessus du SECM violant ainsi l’article 142, § 2, de la loi du 14 juillet 1994 et l’article 2219 du Code civil, mais aussi son obligation de motiver ses décisions en répondant – à tout le moins implicitement – aux moyens des parties et son obligation de ne pas se contredire dans ses motifs :

« L’appelant estime que la chambre de première instance « commet une erreur lorsqu’elle admet que des prestations prescrites soient incorporées dans l’échantillon destiné à calculer le coefficient d’extrapolation ».

La chambre de recours renvoie à la décision de la chambre de première instance (point 12, p. 17) :

« Le fait que les prestations pour lesquelles la prescription était acquise aient été intégrées dans le pourcentage pris en compte n’est pas non plus critiquable. La prescription est en effet sans incidence au plan de la réalité des prestations accomplies. La prescription est par ailleurs intégrée dans le raisonnement du Service d’évaluation et de contrôle médicaux puisque les deux premiers mois de l’année 2006 sont exclus de la base de calcul de l’indu. Exclure les prestations prescrites de la détermination du pourcentage reviendrait dès lors à faire jouer la prescription deux fois.

La Chambre considère encore que les percentiles de prestations atteints par monsieur A (pour toutes les prestations en cause, il était en 2006 au percentile 99 – hormis pour le code 303885 ce qui s’explique par sa disparition et son remplacement par le code 373855) confirment également que le constat de l’attestation massive de prestations non réalisées, ne se limitant pas aux seuls 30 patients auditionnés. Ce constat donne également du crédit au pourcentage d’extrapolation utilisé par le Service d’évaluation et de contrôle médicaux. » (c’est nous qui soulignons) ».

L’article 142, § 2, est violé parce que la Chambre de recours – suivant en cela le SECM – oublie le contenu et la portée de cette disposition : aucun élément matériel constitutif d’une infraction visée à l’article 73bis ne peut figurer dans un procès-verbal de constat établi deux ans après la date à laquelle les documents relatifs à ces faits litigieux ont été reçus par les organismes assureurs.

Si aucun « élément matériel constitutif d’une infraction » (ci-après « prestation  » pour reprendre les termes de la décision entreprise) prescrit ne peut valablement figurer dans un procès-verbal de constat, aucune prestation prescrite ne peut « intervenir » dans l’établissement d’un indu ou dans une extrapolation.

En jugeant que des « prestations pour lesquelles la prescription était acquise (ont) été intégrées dans le pourcentage pris en compte » n’est pas critiquable parce « La prescription est en effet sans incidence au plan de la réalité des prestations accomplies », la Chambre de recours méconnaît donc le contenu et la portée de l’article 142, § 2 de la loi du 14 juillet 1994.

L’article 2219 du Code civil est violé parce que la Chambre de recours dénature la portée juridique et la garantie qu’offre une prescription. Si un fait est prescrit, il ne peut plus servir de fondement à aucun grief ou critique sous peine de nier l’existence d’une prescription pourtant établie par la loi.

L’obligation qui s’impose à la Chambre de recours de motiver ses décisions en répondant – à tout le moins implicitement – aux moyens des parties et l’obligation de ne pas se contredire dans ses motifs, violée parce qu’on ne trouve aucune réponse à aucun des arguments pourtant sérieux développés par le requérant sur la question de « l’incorporation des cas prescrits dans l’échantillon » dans sa requête d’appel et ses conclusions successives. On ne lit pas dans la décision de la Chambre de recours pourquoi elle estime que ni l’article 142, § 2, de la loi du 14 juillet 1994, ni l’article 2219 du Code civil ne sont violés par le SECM. En outre, on lit des motifs pour le moins contradictoires. Comment peut-il à la fois être soutenu que des prestations pour lesquelles la prescription était acquise ont été intégrées dans le pourcentage pris en compte et que cette prise en compte était sans incidence ?

Le sixième moyen est fondé.

II.6.3. Résumé de l’argumentation de la partie adverse

-87. La partie adverse indique que la Chambre de recours s’est prononcée sur l’admission des éléments matériels prescrits dans l’extrapolation non seulement en page 8, mais également en page 14.

Elle cite un extrait de la décision entreprise qui lui semble pertinent pour démontrer que la Chambre de recours a respecté son obligation de motivation formelle découlant de l’article 149 de la Constitution.

II.6.4. Réplique

-88. Le requérant constate que la partie adverse ne répond pas à la critique qu’il formule dans sa requête. Il reproche à la Chambre de recours d’avoir commis une erreur de droit à l’occasion de l’application des articles 142, § 2, de la loi ASSI et 2219 du Code civil relatifs à la prescription.

Le requérant renvoie donc aux développements ci-dessus qui figuraient dans sa requête en guise de réplique à l’argumentation de la partie adverse.

À CES CAUSES,

Et toutes autres à faire valoir, s’il échet, en prosécution de cause,

PLAISE AU CONSEIL D’ETAT,

Dire la présente requête en cassation administrative recevable et fondée,

En conséquence, casser la décision litigieuse du 28 août 2012 de la Chambre de recours instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI (numéro de rôle FB-00x-09) et renvoyer l’affaire comme de droit,

Condamner la partie adverse aux entiers dépens,

Dépens : 175 € en débet.

Bruxelles, le 24 décembre 2012,

Pour le requérant,

Son Conseil,


INVENTAIRE

Pièce 1 : Décision du 28 août 2012 de la Chambre de recours Instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI et courrier de notification du 29 août 2012 dont il a été accusé réception le 30 août 2012.

Pièce 2 : Courrier de convocation du 8 février 2008 adressé par le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI au requérant.

Pièce 3 : Courrier du 20 février 2008 adressé par le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI au requérant avec, en annexe, le procès-verbal de son audition du 18 février 2008.

Pièce 4 : Courrier du 19 février 2008 adressé par le requérant au le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI.

Pièce 5 : Courrier du 24 octobre 2008 de la Chambre de première instance instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI avec, en annexe, la requête du le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI du 22 octobre 2008.

Pièce 6 : Décision du 1er octobre 2009 de la Chambre de première instance instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôles médicaux de l’INAMI.

Pièce 7 : Requête d’appel du requérant du 14 décembre 2009.

Pièce 8 : Conclusions du Service d’évaluation et de contrôles médicaux de l’INAMI du 12 mars 2010.

Pièce 9 : Requête sur pied de l’article 18 §3 de l’arrêté du 9 mai 2008, déposée par le requérant le 8 mai 2010 (et son annexe).

Pièce 10 : Conclusions du requérant du 7 juin 2010.

Pièce 11 : Conclusions additionnelles du le Service d’évaluation et de contrôle médicaux du 14 septembre 2010.

Pièce 12 : Requête en autorisation de déposer des conclusions additionnelles déposée par le requérant le 22 septembre 2010.

Pièce 13 : Ordonnance du 14 octobre 2010 autorisant le requérant à déposer des conclusions additionnelles et courrier de notification du 18 octobre 2010.

Pièce 14 : Conclusions additionnelles du requérant du 3 octobre 2010.

Pièce 15 : Décision avant dire droit de la Chambre de recours instituée auprès du Service d’évaluation et de contrôles médicaux de l’INAMI du 19 janvier 2012 et courrier de notification du 23 janvier 2012.

Pièce 16 : Conclusions additionnelles du requérant du 22 mars 2012.

Pièce 17 : Conclusions du Service d’évaluation et de contrôle médicaux établi auprès de l’INAMI du 17 avril 2012 et courrier du 17 avril 2012.

Pièce 18 : Courrier du 19 mars 2012 renvoyant les débats à l’audience du 26 avril 2012 à 15 heures.

Pièce 19 : Pièces 1, 3, 4, 5, 6, 8 et 9 du dossier déposé par le requérant devant la Chambre de recours.


[1] D. RENDERS, M. JOASSART, G. PIJCKE, F. PIERT, « Le régime juridique de la sanction administrative », Les sanctions administratives, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 182 et s ; M. DE RUE, « Les lignes de force du nouveau Code pénal social », J.T., 2011, p. 108 et 109.

[2] D. RENDERS, M. JOASSART, G. PIJCKE, F. PIERT, « Le régime juridique de la sanction administrative », Les sanctions administratives, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 189 : « La règle qui institue la sanction administrative ne saurait être source de discrimination. Elle ne saurait davantage rétroagir, sauf dans l’hypothèse qui vient d’être envisagée, à savoir celle dans laquelle le texte instituant une sanction administrative postérieure à la commission de l’infraction administrative serait plus douce ».

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