31 octobre, 2014 par Dr R. BOURGUIGNON
Le gouvernement de Charles Michel poursuit le même but que celui d’Elio Di Rupo : sous couvert de « protection de l’intérêt financier du patient », il s’agit en réalité de promouvoir celui de l’Etat !
Car les gouvernements successifs se rendent bien compte que la « finance médicale » est tout sauf transparente.
De même que la lutte contre le blanchiment a servi d’alibi à des mesures de levée du secret bancaire, l’intérêt du patient — ou l’accessibilité des soins de santé* — servira de cheval de Troie pour taxer les revenus dissimulés des médecins et des dentistes.
Comment cet ambitieux projet dirigé contre l’un des derniers bastions de la liberté financière — secret médical oblige — fonctionnera-t-il ?
En voici les grandes lignes :
a) une obligation générale de « transparence financière » est instaurée sous peine de sanctions : entendez par là que le patient doit disposer de toute l’information écrite relative à ce qu’un médecin ou un dentiste lui demande de payer (à cet égard, la ministre pourra déterminer unilatéralement certains honoraires) ;
b) les organismes assureurs sont légalement habilités à vérifier que les prestataires de soins se sont acquittés de leurs obligations, ce qui suppose qu’ils reçoivent copie des informations financières (au passage, les OA vérifient bien entendu le respect des « tarifs officiels »…) ;
c) à terme, ces flux d’informations transitent par des plateformes électroniques de type e-Health ;
d) les données anonymisées (en ce qui concerne l’identité des patients…) sont ensuite communiquées au fisc, qui saura ainsi, à peu de chose près, combien chaque prestataire a réellement gagné…
Voici ce qu’en disent les mutualités chrétiennes (lire surtout le troisième paragraphe) :
La transparence financière : essentielle pour l’accès aux soins
Un projet de loi pour davantage de transparence dans les factures de soins vient d’être déposé au fédéral. En réaction, l’Association belge des syndicats médicaux (Absym) menace de dénoncer l’accord médico-mutualiste et donc de rendre les tarifs libres en 2014. Le point d’achoppement : la communication par les prestataires de soins du détail des factures aux mutualités. Pourtant, la transparence financière des soins de santé est essentielle pour les patients et pour notre système d’assurance soins de santé obligatoire.
L’enquête que la Mutualité chrétienne a menée à l’occasion du 50e anniversaire de l’assurance soins de santé et indemnités l’atteste : les patients manquent d’information sur le coût des consultations médicales. Le patient ne sait pas ce qu’il payera, si ce qu’il paye est correct, si le médecin est conventionné ou non (1). Et souvent, il ne reçoit pas de document justificatif reprenant le détail du montant payé. Cette transparence est aussi exigée par l’Union européenne. Une directive datant de 2011 oblige en effet chaque Etat membre à prendre les mesures nécessaires pour que les prestataires de soins établissent des factures claires. Cette directive devait entrer en application d’ici à la fin de cette année. C’est la raison pour laquelle la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé, Laurette Onkelinx, a déposé un projet de loi sur la transparence financière des soins de santé. Un pas dans la bonne direction. Mais pour qu’elle soit efficace, la transparence devrait être assurée tant à l’égard des patients qu’à l’égard des mutualités.
Transparence de la facture à l’égard des patients
Aujourd’hui, lors d’une consultation médicale ou paramédicale, le patient peut difficilement vérifier si le montant qu’il a acquitté est correct ou pas. L’attestation de soins à remettre à la mutualité ne lui fournit pas d’office cette information, puisque le prestataire ne mentionne pas toujours le montant des honoraires perçus, ni leur composition : ticket modérateur (quote-part personnelle selon le tarif officiel), supplément (si le prestataire n’est pas conventionné), prestations non remboursées… Et si le médecin ou l’infirmière, par exemple, envoie directement l’attestation de soins à la mutualité dans le cadre du tiers-payant, le patient n’a plus rien en mains, ni un reçu attestant ce qu’il a payé, ni un relevé de ce que le prestataire a facturé à la mutualité. Pourtant l’obligation de la transparence à l’égard du patient existe bien pour les factures hospitalières, les factures des maisons de repos, des audiciens, des opticiens, des bandagistes, des orthopédistes… Ce manque d’information est inquiétant : il n’est pas rare que des patients renoncent ou reportent des soins par crainte du prix qui restera à leur charge. Cette situation devrait pourtant s’améliorer à l’avenir avec la facturation électronique. D’ici à un an ou deux, les médecins auront en effet la possibilité de facturer leurs prestations par la voie électronique. Ils devront alors nécessairement remettre à leurs patients un reçu détaillant d’une manière compréhensible la somme qu’ils leur réclament.
Transparence de la facture à l’égard des mutualités
Pour savoir si les médecins conventionnés respectent bien les tarifs officiels, la Mutualité chrétienne a dû organiser une enquête auprès de ses membres car les mutualités n’ont pas connaissance automatiquement des montants réellement portés en compte aux patients. L’enquête a révélé que la grande majorité des médecins conventionnés respectent les tarifs de l’accord médico-mutualiste. Cependant, un pourcentage non négligeable des médecins conventionnés, des spécialistes surtout, facture des montants supérieurs à ceux fixés par l’accord. Faut-il rappeler qu’en contrepartie de son engagement à se conventionner et donc à respecter les tarifs fixés, l’Inami verse au médecin quelque 4 400 euros par an au titre de pension complémentaire (c’est ce qu’on appelle le statut social des médecins). Ces médecins conventionnés qui font payer aux patients davantage que les tarifs officiels ne sont pas corrects. On comprend donc que la communication aux mutualités des montants réellement facturés aux patients est essentielle.
Par ailleurs, il arrive également que certains médecins spécialistes, des dentistes aussi, facturent aux patients des prestations non remboursées par l’assurance obligatoire. Quelles sont-elles ? Le caractère remboursable ou non d’une prestation peut être sujet à interprétation. Parfois, la loi interdit que soit refacturée au patient une prestation dont le remboursement par l’assurance obligatoire a été supprimé. Il est donc important, pour la mutualité, de pouvoir prendre connaissance des factures détaillées des prestations ambulatoires portées en compte aux patients. Comme cela se fait déjà en cas d’hospitalisation. C’est ainsi que la mutualité pourra défendre au mieux ses membres.
Mieux remplir encore notre mission
Autre atout de la facturation détaillée des soins ambulatoires : la connaissance des suppléments et des prestations non remboursées mais facturées aux patients. Elle permettrait à la fois de juger de l’intérêt de rembourser mieux certaines prestations, mais aussi d’observer l’évolution des coûts et donc l’accès aux soins. Sans ces informations, nous ne pouvons pas évaluer si l’assurance soins de santé obligatoire devient plus efficace.
L’Absym déclare être « contre le fait que les mutuelles viennent fouiller dans les finances des médecins ». Si les mutualités revendiquent la transparence financière, ce n’est pas pour cette raison mais pour assurer une exécution correcte et efficace de l’assurance soins de santé obligatoire : faire respecter les tarifs, améliorer les remboursements et défendre les patients. C’est essentiel pour le bon fonctionnement de tout système de santé.
Le modèle précis d’ASD, de reçu ou de « facture » n’a pas beaucoup d’intérêt à ce stade : ce qui compte, c’est le principe de l’obligation d’informer par écrit**, ainsi que la destination de cette information (le patient ET sa mutuelle), puis le fisc.
La mutuelle, agissant comme défenseur de ses affiliés, va vérifier les TM, les suppléments, les prestations non remboursées, etc. au regard des tarifs officiels — lesquels seront sans doute fixés par la ministre, sauf dans certains cas spécifiques.
Comme grand commis de l’Etat, cette même mutuelle va — après les avoir vérifiées — communiquer au fisc les information obtenues.
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* L’intérêt financier du patient et l’accessibilité des soins de santé sont deux notions très différentes ! La première relève pratiquement du pouvoir d’achat (et donc de l’indice des prix), la seconde de la santé publique. Il est manifeste que le gouvernement Michel est plus préoccupé par la première notion…
** Par écrit ne signifie plus : « sur papier » !