CEDH et article 171 de la loi SSI
L’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de 1950 garantit à « toute personne » le droit à un « procès équitable ».
Le droit de ne pas devoir s’auto-incriminer – c’est-à-dire l’interdiction d’user contre un suspect de moyens de coercition pour provoquer ses aveux ou obtenir la preuve de sa culpabilité – découle de cet article (voir notamment Cour européenne de Strasbourg, arrêt du 25 février 1993, Funcke c. France).
En d’autres termes, aucune personne ne peut être contrainte – p.ex. sous peine de sanctions pénales – de s’auto-accuser, ni même de livrer elle-même des preuves ou indices de sa culpabilité.
C’est le « droit au silence » reconnu à toute personne suspectée…
Or, nous avons vu (article intitulé « Conduite à tenir lors d’un contrôle par le SECM », posté le 16 juillet 2008) que l’art. 171 loi SSI stipule notamment :
Sans préjudice de l’application des articles 269 à 274 inclus du Code pénal, est punie d’une peine d’emprisonnement de huit jours à un mois et/ou d’une amende de 26 à 500 EUR, toute personne qui fournit des renseignements inexacts ou qui met obstacle à l’accomplissement de la mission, soit des médecins-conseils, des médecins-inspecteurs, des pharmaciens-inspecteurs, des infirmiers-contrôleurs, des contrôleurs sociaux ou des inspecteurs sociaux visés respectivement aux articles 153, 146, 151 et 162 ou des agents délégués par eux, soit des fonctionnaires désignés conformément à l’article 191, alinéa 1er, 7° et 8°, soit des inspecteurs ou inspecteurs-adjoints de l’Inspection sociale du Ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement.
Dans quelle mesure l’obligation – sous peine de sanctions pénales ! – de faire des déclarations exactes et de produire tout document (art. 150 loi SSI) utile à l’accomplissement de la mission légale des médecins-inspecteurs du SECM est-elle compatible avec l’art. 6 § 1 de la CEDH ?
Il a été jugé qu’en matière de rapports entre des professionnels et les autorités chargées de contrôler leurs activités, le « droit au silence » garanti par la CEDH pouvait être partiellement levé pour des raisons d’efficacité, compte tenu de la complexité de ces activités et de la difficulté de l’administration de la preuve sans le concours actif du professionnel concerné.
En revanche, le dispensateur n’a nullement l’obligation de répondre – sous peine de sanctions pénales si sa réponse n’est pas exacte – à des questions telles que : « Etes-vous coupable de fraude? ». En effet, la dérogation à l’interdiction découlant de l’art. 6 § 1 de la CEDH ne concerne que des documents ou renseignements oraux relatifs à l’exercice de la profession, et donc portant sur des faits médicaux.
Il est néanmoins bon, lors d’une enquête du SECM, de conserver présente à l’esprit la distinction – parfois subtile – entre l’obligation légale de participer activement à l’enquête pour ce qui concerne les faits médicaux, et le droit au silence pour le surplus.
Ainsi, pour reprendre l’exemple de notre article du 29 juillet 2008 sur les déclarations à portée générale faites par le dispensateur lors d’une audition par un médecin-inspecteur du SECM (voir ci-dessous), la question: « Dans quel pourcentage de cas avez-vous installé une prothèse en moins d’étapes que prévu par la réglementation ? » ne nous semble pas commander une réponse au titre de l’art. 171 loi SSI (le dentiste pourrait garder le silence), et ce pour les deux raisons suivantes :
a) la réponse serait auto-accusatoire ;
b) il ne s’agit pas d’un renseignement factuel, mais d’un calcul nécessitant un travail.
Toutefois, dans l’hypothèse – peu probable – où l’inspecteur dresserait procès-verbal pour obstacle à l’accomplissement de sa mission et transmettrait au Parquet, ce serait en définitive au juge de la juridiction répressive de trancher en fonction des éléments de fait, chaque question posée constituant un cas d’espèce.