20 avril, 2013 par Dr R. BOURGUIGNON
On le sait, la TVA est une administration particulièrement vorace et les exceptions à l’assujettissement sont assez peu nombreuses.
L’article 44 du Code de la TVA les énumère de manière limitative :
§ 1er. Sont exemptées de la taxe, les prestations de services exécutées, dans l’exercice de leur activité habituelle, par les personnes suivantes :
1° les avocats;
2° les médecins, les dentistes, les kinésithérapeutes, les accoucheuses, les infirmiers et les infirmières, les soigneurs et les soigneuses, les garde-malades, les masseurs et les masseuses, dont les prestations de soins à la personne sont reprises dans la nomenclature des prestations de santé en matière d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité;
§ 2. Sont aussi exemptées de la taxe :
1° les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées, dans l’exercice de leur activité habituelle, par les établissements hospitaliers et psychiatriques, les cliniques et les dispensaires; les transports de malades et de blessés par des moyens de transport spécialement équipés à ces fins;
1°bis les prestations de services fournies à leurs membres par les groupements autonomes de personnes exerçant une activité exemptée par le présent article ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, lorsque ces services sont directement nécessaires à l’exercice de cette activité, et que les groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part qui incombe à chacun d’eux dans les dépenses engagées en commun, à la condition que cette exemption ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence; le Roi règle les conditions d’application de cette exemption;
1°ter les livraisons d’organes humains, de sang humain et de lait maternel;
2° les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l’assistance sociale, à la sécurité sociale et à la protection de l’enfance et de la jeunesse, effectuées par des organismes de droit public, ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’autorité compétente
…
Un infirmier français résidant en Wallonie avait créé voici plus de dix ans un secrétariat de tarification tiers-payant pour infirmiers indépendants, mais — afin d’éluder la TVA —, il avait eu l’idée de faire comme si ses clients étaient des collègues de travail et que l’ensemble était une centrale de soins infirmiers, percevant les honoraires pour son propre compte.
Afin de donner à cette construction une apparence de réalité, cet infirmier avait fondé une ASBL, dépossédait ses clients de leurs prescriptions médicales (art. 4, §2 du contrat qu’il faisait signer à ses clients) et de leurs échelles de Katz… mais ne les incitait guère à tenir le fameux « dossier infirmier ».
L’art. 6 du contrat stipulait même que l’ASBL « tarifie et perçoit en son nom propre les honoraires des soins infirmiers ».
C’était évidemment une fiction, puisque le patient n’avait aucun contact avec cette soi-disant « centrale », qui ne pouvait au demeurant fonctionner sous la forme d’une ASBL, puisqu’elle poursuivait un but de lucre.
En outre, l’infirmier-fondateur de cette centrale fictive s’était lourdement trompé quant à la portée de l’article 6, §14 du Règlement du 28 juillet 2003 régissant les attestations globales de soins donnés (AGSD) modèle D :
§ 14. [Erratum – M.B. 16-10-03 – ed. 2; M – Règl. 15-3-04 – M.B. 17-5 – éd.1](°) Par sa signature au bas des attestations récapitulatives de soins reprises à l’annexe 28, le signataire, qui doit être soit un médecin, soit un dispensateur de soins appartenant à la profession dont relèvent les prestations attestées, certifie disposer de documents démontrant que les prestations ont été effectuées par le dispensateur de soins dont le nom figure en regard de chacune d’elles. Les documents en question sont à la disposition du Service de l’évaluation et de contrôle médicaux; ils porteront la signature du dispensateur de soins susvisé.
…
Le procédé visé aux alinéas 1 et 2 ne peut être utilisé qu’à la condition qu’il existe, entre le signataire et chaque dispensateur de soins concerné, un mandat écrit aux termes duquel le dispensateur de soins (mandant) donne au signataire (mandataire), qui accepte, le pouvoir de porter en compte à l’assurance soins de santé, sous sa signature, les soins qu’il a effectués.
Sans préjudice des délais de conservation imposés par d’autres législations ou par les règles de la déontologie médicale, les documents dont question aux alinéas 1 et 2 doivent être conservés pendant une période d’au moins trois ans à partir de la date de l’exécution de la prestation.
En effet, s’il exigeait bien un listing des prestations validé par ses clients, le gérant de cette « centrale » avait complètement perdu de vue la nécessité de disposer d’un mandat écrit, ce qui — aux yeux de l’INAMI — le rendait responsable de toutes les prestations attestées au nom de ses clients* !
Le pot aux roses fut découvert lorsqu’un client de cette étrange structure fut l’objet d’un contrôle de l’INAMI et fit appel à Securimed pour le défendre.
Le contrat liant l’ASBL à ses clients était déjà des plus curieux**, mais le plus étonnant était l’absence totale de toute facture : l’infirmier-client ne recevait qu’un décompte écrit à la main et se voyait taxé de frais de gestion s’élevant à… 10% du montant introduit (art. 6 du contrat) !
Sur le plan technique, l’infirmier-fondateur — qui disposait d’un numéro INAMI en tant qu’infirmier — faisait passer sur MyCarenet ses clients pour les membres d’un « groupement » d’infirmiers (comme un pool d’honoraires médicaux) et percevait la totalité de l’intervention des OA sur le compte de son ASBL.
La balle est à présent dans le camp de l’Administration de la TVA et du SECM***…
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* La loi SSI étant d’ordre public, elle s’interprète strictement : le mandat écrit doit exister (et non se déduire du contexte, comme en droit civil).
** L’article 2 du contrat stipulait ainsi : « Les parties s’engagent à sauvegarder l’intérêt de la santé des personnes, leur autonomie, leur intégrité physique, morale et religieuse (sic) et à garantir le secret professionnel ».
*** Affolé par l’enquête qui se dirige maintenant vers lui, l’infirmier-gérant téléphone à ses clients pour leur demander de lui envoyer le fameux « mandat écrit », mais dit-il c’est… « pour vous défendre contre l’INAMI ! »