14 octobre, 2013 par Dr R. BOURGUIGNON
QUESTION :
Il y a déjà plusieurs semaines, la presse s’est fait l’écho d’un arrêt du Conseil d’Etat (ou deux) qui ont stigmatisé l’attitude du service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’INAMI pour ce qui concerne la procédure d’extrapolation.
J’ai même lu que vous aviez commenté ces décisions.
Apparemment, les médecins inspecteurs ne sont pas autrement inquiets de cette jurisprudence.
J’avais invoqué, dans une procédure, l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 mai 2013 mais il semble qu’il y en a un autre.
Par ailleurs, le service se fonde également sur une réponse de la ministre des affaires sociales et de santé publique à des questions parlementaires.
La question essentielle me paraît être de savoir si la méthode d’extrapolation par le biais de la statistique est fiable et peut constituer une présomption qui conduit dès lors à un renversement de la charge de la preuve, ce qui est évidemment fort lourd pour le prestataire.
Si vous aviez des documents ou précisions complémentaires, cela me serait évidemment précieux.
Grand merci d’avance.
REPONSE :
Les enquêtes réalisées par le SECM portent sur des « petits échantillons » (p.ex. 30 ou 60 patients), par opposition aux « grands échantillons » (p.ex. 1.000 personnes).
Cette méthodologie vise évidemment à permettre au SECM de se dispenser d’une longue enquête jalonnée d’innombrables auditions de patients ou autres témoins.
Même pratiquée dans des conditions extrêmement strictes, avec biostatisticien, sélection véritablement aléatoire (« randomized ») des patients et stratification si nécessaire, la méthode dite d’extrapolation ne sera jamais fiable sur le plan juridique, puisque la probabilité que l’hypothèse testée soit vraie n’est que de 95% (taux généralement utilisé*).
En d’autres termes, il y a une chance sur 20 que le résultat soit faux… ou encore autrement dit, une étude sur 20 dira le contraire des 19 autres…
On lira avec intérêt sur ce sujet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Intervalle_de_confiance
C’est pourquoi cette méthode, même pratiquée rigoureusement du point de vue statistique, ne satisfera jamais un juriste du Conseil d’Etat.
Pour répondre précisément à votre question, le Conseil d’Etat a bel et bien décidé que la méthode d’extrapolation renversait illégalement la charge de la preuve :
Le moyen est par contre recevable et fondé en cette branche en ce que le requérant reproche à la chambre de recours d’avoir recouru à une extrapolation pour conclure que certains actes sur lesquels il n’avait pas été enquêté (sic) n’avaient pas été accomplis par lui.
C’est à juste titre que le requérant reproche à la chambre de recours de s’être prononcée sur le raisonnement suivi par la partie adverse en recourant à une extrapolation et non sur des faits matériels dûment constatés auprès des 214 patients pour lesquels les prestations de gingivectomie n’auraient soi-disant pas été effectuées.
La chambre de recours a procédé, hors de toute disposition législative ou réglementaire l’y autorisant, à un renversement de la charge de la preuve des faits reprochés.
En effet, une juridiction ne peut condamner sur base d’une probabilité de culpabilité : aurait-on pu condamner DUTROUX ou FOURNIRET parce qu’un statisticien avait déterminé qu’existait 95% de « chances » (ce qui est en définitive fort peu**…) qu’ils aient assassiné les enfants disparus ?
Il ne faut donc pas confondre présomption*** (notion juridique) et probabilité (notion mathématique) : la première ne constitue nullement la traduction en droit de la seconde.
On peut alors se demander à quoi servent les statistiques : à fournir des estimations et non des certitudes : ainsi, la hauteur standard de plafond n’est pas conçue pour les rares personnes dont la taille excède deux mètres.
Le SECM et ses juridictions sont devenus des électrons libres… il faut se rendre à l’évidence que le Conseil d’Etat est devenu une juridiction de l’INAMI !
Quant à Laurette ONKELINX, son but est ni plus ni moins de protéger son Administration…
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* Un taux plus élevé (p.ex. 98%) nécessiterait beaucoup plus de patients !
** En matière d’ADN, la probabilité d’erreur est de… un sur 10 exposant 18, à savoir pratiquement zéro.
*** Présomption qu’il ne faut, à son tour, pas non plus confondre avec « l’intime conviction » des jurés.